guts.

Quelques heures plus tôt, Nora avait regardé Diego s’éloigner vers une rangée de bâtiments, disparaître derrière un muret, dans un couloir, et ne pas revenir. La toute première fois qu’il lui avait fait le coup, elle s’était inquiétée, et comme une idiote, elle avait même suivi le chemin que le chien avait emprunté, persuadée qu’il aurait besoin de son aide. L’animal était bien vite revenu avec un pigeon dans la gueule, et il avait bouffé l’oiseau à quelques pas d’elle, pendant que la blonde avait fait en sorte de ne surtout pas regarder. Bref, ils avaient réussi à instaurer leur petit système, tous les deux; pas besoin d’en parler longuement, pas besoin de débattre ou de se disputer comme un vieux couple - le pitbull faisait à sa guise, et la jeune femme avait juste eu à faire avec. Alors pour cette fois, elle l’avait laissé partir, décidant de se concentrer sur leurs recherches, avec Joshua. Diego reviendrait quand il le voudrait, et même s’il ne savait pas où ils allaient, ce clébard avait un sixième sens complètement hallucinant qui produisait des miracles dont la Blake avait été, jusque-là, la seule témoin. Parfois, quand elle racontait les exploits du chien à Josh, elle était persuadée qu’il ne la croyait pas: alors peut-être qu’il allait avoir droit, en avant première, à la preuve irréfutable de tout ce qu’elle avait toujours raconté. Après tout, elle était plutôt terre à terre comme fille - elle avait été bien forcée à le devenir, même avec les gens qu’elle idolâtrait totalement, comme lui. Alors évidemment que non, elle n’estimait pas placer une foi excessive en ce chien: contrairement à beaucoup d’êtres humains par le passé, Diego s’était prouvé être loyal, tenace, précis et toujours capable d’apparaître, quand elle avait vraiment besoin de lui. C’est donc sans être assaillie par les remords, que Nora avait hissé son sac plein sur son épaule, jetant une dernière oeillade sur les alentours, à la recherche du reflet gris du pelage de l’animal: si Diego n’était pas encore revenu, c’était parce qu’il n’était pas encore totalement rassasié. De toute manière, il semblait bien que depuis un certain temps, le chien était développé la conscience que son rôle principal pouvait aisément être accompli par le Burrows; c’était la solitude pure et dure, froide et effrayante, que Nora craignait plus que n’importe quoi d’autre. Dans le silence épais des rues, elle l’appela quand même, sifflotant, hélant le nom du chien avant de suivre la route que Joshua voulait lui montrer, jusqu’à une des planques qu’il avait nettoyées, et où il avait déposé quelques unes de ses affaires. Il semblait que le jeune homme avait été plus efficace qu’elle, pour créer son sillage dans les rues de Lafayette et des villes alentours: Nora, elle, elle avait toujours pris des planques d’un jour à peine, passant la nuit dans une zone précaire mais sauve, avant de totalement plier bagages dès l’aube. Tout ce qui était important, était dans ce sac, et le sarcasme habituel que l’ancienne reporter servait à son ex-fiancé, lui ferait presque demander à haute voix si les choix récents qu’il faisait, n’étaient pas le résultat de la richesse dans laquelle il avait grandi- celle-là même qui lui avait prodigué pendant toute son enfance, une grande maison, ainsi que plusieurs demeures secondaires, à travers le pays ou à travers le monde.

Bien plus souvent qu’il ne le semblait, Nora gardait pourtant ses petites remarques, tantôt taquines et tantôt venimeuses; elle n’avait pas envie de mettre de l’huile sur le feu. Elle n’avait pas envie de jouer avec le Diable. Et peut-être bien aussi, que d’une façon bien pitoyable, elle n’avait pas envie de donner la moindre raison à Joshua de se comporter comme un connard: après tout, il avait bien jugé, quelques mois plus tôt, qu’elle, partant pour faire son travail, avait été une bonne raison pour enterrer leur relation, et nettoyer sa présence dans leurs draps, avec toute une flopée d’autres nanas. Oh oui, ça, mine de rien, ça n’passait pas vraiment; s’il fallait être honnête, ça n’passerait jamais tant qu’elle n’pourrait pas avoir le temps, le confort et l’opportunité réelle de mettre ces songes tortionnaires à voix haute. Et s’il partait, à cause de toutes les vérités qu’elle avait tant envie de lui balancer dans la gueule? Elle n’était plus à cette déception près, probablement. Mais tout autant qu’elle aimait se prétendre être forte et tenace, c’était la peur qui gagnait le bras de fer contre ses convictions, bien souvent; alors aujourd’hui comme souvent depuis ces derniers jours, Nora se contentait de rester silencieuse, de lâcher des petites phrases insignifiantes, d’entamer des discussions qui étaient vite avortées par le présent. Et parfois, quand elle le dévisageait et se sentait en manque de mots, la blonde en venait même à se demander de quoi ils avaient pu parler, quelques années plus tôt, quand ils avaient été fiancés, heureux, reposés, et noyés dans une confiance aveugle, l’un envers l’autre. Où était-il passé, le temps où ils avaient toujours pu parler de tout, sans se soucier de la réaction de l’autre? Elle lui en avait confiées, des parts de son coeur, des parts de son histoire - évidemment. Et Nora avait vu les aspects les plus sombres de l’homme qu’il avait été; les traumatismes, les blessures, les peines transformées en hargne ou noyées dans l’alcool. Nora n’avait jamais été une grande muette, et pourtant, elle était à cours de mots, avec Josh. L’ironie à l’état pur. Elle n’était donc qu’à peine concentrée sur l’instant, suivant par automatisme les indications du brun et l’écho de sa présence, lorsqu’une voix la fit sursauter. Une voix de femme, un corps de femme, un visage de femme. Un regard déterminé. Et putain, une arme pointée droit vers eux. La pierre invisible de son inquiétude n’eut qu’à peine le temps de s’installer dans ses entrailles, avant que Joshua ne repousse son corps frêle derrière lui: elle pouvait facilement être complètement cachée par l’épaisse carrure de l’ancien militaire, et au moins, lui, il avait des réflexes bien plus inquiétants et crédibles qu’elle. Elle, elle ne sentait plus rien, rien d’autre que son coeur qui s’était si brutalement réveillé contre sa cage thoracique: avait-elle encore son pied de biche? Et où était-il?! Oui, oui, coincé dans la lanière de son sac, là où elle le mettait pour avoir les mains libres quand elle cherchait de quoi remplir ses réserves. Il était là, juste là, mais les doigts de la Blake étaient faibles, moites, et complètement déconnectés de son cerveau. Idiote, abasourdie, elle manquait même de ces mots qui lui avaient si souvent sauvé la vie: les zombies, l’inhumain répugnant qui n’avait plus aucune conscience, c’était une chose. Mais une arme, si froidement pointée vers elle - vers Joshua - c’était... c’était un retour des années en arrière, dans ces caves lugubres où ils avaient été des otages torturés et prêts à embrasser la mort, un peu plus chaque jour. Elle détestait, elle détestait les armes, Nora. Elles la rendaient stupide, fragile comme une petite fille qui allait pleurer - brisée comme l’ombre de femme que les militaires avaient sauvé de ses geôles. Il fallait, il fallait qu’elle se concentre, qu’ils sortent de là - il n’fallait surtout pas que Joshua finisse blesser; avant qu’elle ne puisse faire sa paix avec ce qu’elle devait faire, Nora sentit ses paupières ciller d’elles-mêmes, battre à toute allure pour essayer de chasser les larmes incontrôlables qui brouillaient sa vision. Elle allait ramper, supplier comme une victime idéale, ou tourner de l’oeil, au choix, il n’semblait pas qu’elle soit apte à quoique ce soit d’autre.