dead man walking.
avant l'apocalypse
15 novembre 1988 ▬ chicago, illinois elle n'avait que vingt ans, cette jolie poupée à la peau d'ébène, lorsqu'elle mit au monde son premier enfant. elle et son mari vivaient le rêve, enchantés par cette nouvelle venue. elle se nommerait
madison, olivia du deuxième prénom. le même que sa génitrice. ils prévoyaient déjà concevoir un deuxième enfant. le premier, c'était moi, mais ça, j'imagine que vous l'avez deviné.
10 mars 1990 ▬ naperville, illinois prématuré. la seconde naissance, celle de mon frère
austin ne s'est pas déroulée aussi bien que la mienne. je ne saurais vous dire les détails de cette nuit, ébauche d'un souvenir raconté trop souvent par mes géniteurs. austin est né dans une voiture. austin est cliniquement mort l'espace de quelques secondes, avant d'être sauvé par les médecins. austin était fragile à la naissance. austin était un bébé calme, un bébé doux, un bébé fragile, un bébé qui prenait toute l'espace dans la maison...
21 octobre 1995 ▬ chicago, illinois je pleure. j'étais une enfant sensible, mais pas autant que mon frère. j'étais fragile, mais pas tellement, au fond. j'avais fort caractère, mais j'étais juste effacée. mes parents ne se posaient pas de questions vis-à-vis de mon caractère timide et un peu triste, par moments. j'étais juste une petite fille et c'était certainement normal. austin, lui, passait son temps chez les médecins, dans les bras de maman, dans les bras de papa, on s'inquiétait toujours pour lui... je commençais à le haïr, dans mon coeur de jeune fille qui se sentait mal-aimée, incomprise et délaissée face à ce bébé, né juste un peu trop tôt, qu'on chérissait plus que tout par peur de le perdre.
«
maddie... pourquoi tu pleures ? »
il n'était qu'un gamin, et il n'avait pas la faculté de comprendre. mais j'étais moi aussi une gamine, et si ma petite tape sur son épaule n'avait pas suffit à ce qu'il me laisse en paix, c'était plutôt le contraire. il s'était approché de moi et m'avait serrée si fort que mes os souffraient sous son emprise.
«
c'est pas grave, maddie, t'as pas à le dire. mais moi je t'aimerai toujours. »
je n'ai jamais compris pourquoi il m'avait adressé ces mots, mais ils m'avaient appaisée. à ce jour, je me demande comment un gamin aurait pu les prononcer. mais ils se gravèrent dans ma mémoire, à jamais, et moi et austin devinrent inséparables à partir de ce moment. naturellement. sans questions. son étreinte m'avait appaisée et mon sentiment de haine à son égard s'était dissipée. j'étais égoïste de le blâmer. ça n'avait jamais été de sa faute, au fond.
4 juillet 2001 ▬ lincoln, nebraska «
tu ne peux pas me faire ça, maman. j'ai des amis ici. j'aime mon école... j'aime chicago. on ne peut pas aller si loin. qu'est-ce que tu fais de mon avis, dans tout ça ? »
le nebraska ne m'intéressait pas. mes yeux, couverts d'un voile de tristesse étaient humides, ma vision était trouble, les maisons passaient les unes après les autres et je n'arrivais pas à apprécier la beauté de ce nouveau quartier. des larmes à moitié sèches traçaient des sillons le long de mes joues, mais j'étais de marbre.
«
et tu vas faire quoi, madison ? rester ici toute seule ? tu vas payer ce logement avec quel argent ? c'est trop dispendieux, chicago. cette discussion est close. »
la voiture s'était arrêtée, mais le fil de mes pensées n'en avait pas fait autant. je posais mes yeux sur ma nouvelle maison. un long silence s'était installé. austin m'avait attrapé la main et m'avait fait signe de la tête, me rassurant.
je suis là, m'assurait son regard. un petit sourire, triste, étira le coin de mes lèvres. c'était bien la seule chose qu'il me restait.
18 septembre 2004 ▬ lincoln, nebraska « moi, c'est
jordan. »
un sourire étirait ses lèvres et sa main se tendait à moi. cet homme, rencontré au hasard dans la rue, m'avait prêté son parapluie et m'avait rammenée jusqu'à chez moi. on m'avait pourtant dit bien des fois de ne pas adresser la parole aux inconnus, mais cet homme-là n'était pas comme les autres. du moins, c'était ce que je pensais. il était beau, il était
magnifique. mon souffle s'était coupé lorsqu'il avait posé ses yeux d'un bleu océan dans les miens. mon coeur s'était emballé lorsqu'il m'avait proposé que l'on se revoit sous un meilleur jour. ma voix tremblante lorsque j'avais parlé de cet homme à olivia.
qui est-il ? quel âge a-t-il ?
j'en sais rien, maman, mais je crois qu'il pourrait être le bon... à olivia de m'expliquer que je suis trop jeune pour affirmer ce genre de propos.
à moi d'ignorer ses conseils.
23 février 2006 ▬ lincoln, nebraska«
maddie, »
mon coeur battait à tout rompre. il y avait un peu plus d'un an, jordan m'avait déclaré sa fleur, à ce même endroit. aujourd'hui, habillée de ma plus jolie robe, chaussée de mes talons favoris, il me tenait la main, cherchait mon regard, me souriait.
«
regarde-moi. »
je pinçais les lèvres si fort qu'elles étaient douloureuses. mes yeux se fermaient sous le stress. j'avais attendu ce moment toute ma vie, et pourtant, maintenant, je redoutais la question. étais-je prête à donner ma vie entière à cet homme ? j'ouvrais finalement les yeux pour observer son visage, lui qui s'agenouillait devant moi, un petit boitier au creux de la main.
«
veux-tu m'épouser ? »
la voix d'olivia s'élevait dans ma tête, me percutant, me rappelant qu'il était trop tôt, trop tôt pour donner mon coeur tout entier à cet homme, à peine plus vieux que moi.
«
oui. » avais-je répondu, cessant de réfléchir, acceptant le diamant qu'il m'offrait.
ne serait-ce que pour prouver à olivia que mes choix m'appartenaient.
12 août 2009 ▬ chicago, illinoisc'était une bonne idée, de visiter chicago pour fêter notre première année en tant que mari et femme. jordan me connaissait, et connaissait mon amour pour cette ville. mon coeur ne l'avait jamais quitté. mais la confusion m'envahissait alors qu'il me traînait devant un édifice, qui s'élevait à des mètres et des mètres au-dessus de ma tête, un portail impressionant et luxueux au-dessus de ma tête.
«
j'ai officiellement obtenu mon poste de shérif... » m'explique-t-il en me saisissant les deux mains, fébrile. «
et il se trouve que le poste disponible est celui de chicago. » il me laisse deviner la suite. ma confusion passe à la surprise, et mes ma bouche s'entrouve. je ne sais pas quoi dire.
à défaut de trouver les mots, je lui saute au cou. je l'écrase contre ma poitrine, incapable d'exprimer ma gratitude.
18 novembre 2014 ▬ chicago, illinois«
corey... » je murmure son prénom contre sa peau tandis que ses mains m'envahissent, saisissent ma taille, me font frissonner.
«
on ne devrait pas... »
les mots m'échappent mais se meurent, se butent contre mes lèvres. j'aime mon mari plus que tout, mais cet homme me rend folle.
je ne devrais pas. il ricane contre ma joue et me fait comprendre qu'il ne dira rien. qu'il ne pourrait pas se permettre de perdre son meilleur ami,
de toute façon. je succombe, emballée par la présence d'un autre homme, par des mains qui n'appartiennent pas au seul homme avec qui j'ai partagé mon lit, toutes ces années.
décembre 2014 à février 2015 ▬ chicago, illinoiscette phase de ma vie est encore floue pour moi. je ne sais pas si j'ai préféré l'oublier, ou si j'étais réellement trop troublée pour m'en rappeler...
mon mari découvrit l'adultère avant la fin de l'année, mais refusa de m'en parler. je revis corey quelques fois malgré moi, et au gré des jours, mes sentiments migrèrent vers cet homme, qui me vendait du rêve à toutes les fois que nos chemins se rencontraient. dès la mi-janvier, il me convainquait déjà de quitter mon mari pour bâtir ma vie avec lui.
ce que je fis.
«
tu es bête. » furent les mots de corey lorsqu'il me vit en larmes, suite aux avoeux de mon mari. ça n'avait été qu'un jeu pour celui qui m'avait charmée, et une vengeance pour mon mari. le mois de mars marqua ma solitude. le mois de février marqua, quant à lui, la pire période de ma vie. la nouvelle fit le tour de mon cercle social, de ma famille, et cet homme qui m'avait sauvé un jour pluvieux devint mon pire cauchemar...
6 novembre 2015 ▬ chicago, illinoismes dents transpercent presque ma lèvre, tellement je me fais des scénarios. à la télévision, des scènes atroces. difficile de censurer, à présent : on l'a tous vu, au moins une fois, à moins de s'en cacher. mon frère fait les cent pas dans la cuisine de mon petit appartement miteux, un énorme sac d'armée posé au sol, dans lequel il jette toutes les provisions que j'ai chez moi.
«
il faut partir, maddie. l'arkansas est notre meilleure chance. on peut pas attendre que ça dégénère... t'es plus en sécurité, ici. »
je me tourne vers lui et écarquille les yeux. l'arkansas ? l'idée de quitter mon chez moi ne m'avait jamais traversé l'esprit, mais l'alerte est lancée. personne n'est en sécurité, ici.
«
et maman ? papa ? »
austin m'attrape par les épaules et me regarde d'un air sévère.
«
ils sont déjà en route. nous allons les retrouver là-bas. mais là, il faut vraiment partir... »
je jette un dernier regard à mon appartement avant de partir. puis je ferme la porte.
mais avant, j'ai quelque chose à faire.7 novembre 2015 ▬ illinois, en route vers l'arkansasla fenêtre complètement abaissée, le vent me glace les joues. le sang séché sur mes mains et mon visage m'irritent la peau. mais ce qui m'irrite encore plus, c'est l'odeur. l'odeur du fer, l'odeur de la mort, l'odeur
de sa mort.
mon frère, au volant, est stoïque. il n'a pas dit un mot depuis que je suis sortie de l'appartement luxueux du mari auquel je n'étais toujours pas divorcée, les armes personnelles de jordan sous les bras.
je ne lui ai rien dit. je n'ai pas eu besoin.
le sujet n'a jamais plus été discuté.
après l'apocalypse
8 novembre 2015 ▬ benton, illinoisil y avait bien une chose à laquelle nous n'avions pas pensé ; le carburant n'est pas éternel. c'est à benton que la voiture s'arrêta définitivement, mon frère tapant sur le volant et poussant un juron. nous n'avions pas le choix de scruter l'endroit, histoire de tenter de trouver du carburant, ou au moins un abris avant la noirceur.
plus au loin se trouvait l'aéroport de benton. à priori, l'idée était bonne : nous allions peut-être y trouver du carburant, ou encore une autre voiture pour décoller de là au plus vite. à la limite, nous allions certainement y trouver de la nourriture, ou un endroit pour crécher.
une dizaine de rôdeurs nous attendaient derrière les portes. j'étais encore peu entraînée à manier les armes, et les fusils de mon mari étaient lourds sur mes épaules. quant à mon frère, il n'avait jamais touché un pistolet de sa vie. c'est nos pieds qui nous sauvèrent, nous menant à un endroit suffisamment sécuritaire, mais très temporaire...
j'ai regardé mon frère me dire de me barricader et d'attendre. son plan, c'était de les éloigner et de revenir.
de ne surtout pas bouger de là.
c'est le dernier souvenir que j'ai de lui. j'attendis 6 jours avant de sortir de ma cachette, mes provisions en nourriture épuisées depuis déjà deux jours.
décembre 2015 - février 2016 ▬ carbondale, illinoisje comptais les jours en les notant à l'aide d'un eyeliner sur le revers de mon bras... mais j'ai perdu le compte. je sais que j'ai perdu mon frère depuis au moins trois semaines... peut-être un mois, même. ma seule motivation est de me rendre en arkansas, en espérant que ses pensées rejoignent les miennes. admettre qu'il puisse être mort est hors de question pour moi, en ce moment...
c'est cependant à carbondale que je trouve refuge. une ferme abandonnée, loin de toute civilisation. j'en fais mon territoire pour l'hiver, abandonnant l'idée de rejoindre l'arkansas pour les temps plus frais. c'est là que j'apprends à manier les quelques armes que j'ai, à en fabriquer, à affronter des rôdeurs...
février 2016 ▬ quelque part en arkansasje ne sais même plus où je me trouve. perdue, affamée, malpropre, mais c'est devenu mon quotidien. c'est un groupe de gens qui me retrouvent. si j'ai du mal à leur faire confiance au départ, je finis par les rejoindre tout de même. ils ont le même but que moi, mais m'exposent la vérité : le camp n'est pas, ou n'est plus, depuis un moment déjà. il y a un autre camp en louisianne. c'est ma nouvelle destination.
avril 2016ils nous ont massacré. un groupe d'inconnus. ils ont décimé tout le groupe. les seuls survivants, deux ou trois, se sont tous séparés. je continue mon chemin seule. le monde a changé, et j'ai depuis longtemps perdu l'espoir de retrouver austin.
août 2016 - présentun autre groupe m'accueille. je tisse des liens avec ces gens, plus familiers, plus forts, un peu moins nombreux. ils me collent à la peau et nous nous débrouillons bien. je passe quelques mois en leur compagnie avant de prendre un différent chemin. ils ne croient pas en lafayette.
c'est quelques semaines après mon arrivée au camp que j'apprends le massacre des miens.
je n'aurais jamais dû les abandonner.