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 i am not the ennemy (pv)

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MessageSujet: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyLun 10 Avr - 0:12


I SWEAR I AM NOT THE ENNEMY.


La journée avait été longue. Ardue. Compliquée. Aux aurores, ils avaient pris une décision qu’ils ne devraient pas regretter, eux, l’élite paramilitaire d’une soi-disant société aux abois. Les mains s’étaient levées une par une devant la face démunie du malheureux. Qu’on lui coupe la tête. Il y avait eu quelques cris, mais moyennant le bandeau attaché devant ses yeux, Pratt avait été d’une dignité toute à son honneur. D’un geste résigné, Saul avait levé le flingue au niveau du crâne, là où il fallait viser pour ne pas louper. Le coup était parti et de la suite, il n’était plus sûr.

Il s’est pris une beigne sur les coups de quatre heures, ça, il le sait, même que sa pommette a légèrement gonflé et que la lèvre saigne encore. C’était sans compter sur la prothèse qui venait lui brûler le début de moignon, enflant dans le même temps la jambe et sa colère, toutes les deux déjà dans un état précaire, alors qu’il tirait l’enfant réfractaire par la main. « Avance, Agate. » Lança-t-il froidement. La gamine traînait des pieds en faisant la moue. Saul l’attrapa brutalement par les hanches et la souleva à son niveau. « J’ai pas le temps pour ça, putain. Quelqu’un a vu Sykes ? » Lança-t-il au premier venu. « Il était dans le centre-ville y’a une demi-heure. » « Pas lui, sa mioche. » L’autre haussa les épaules. Saul eut un grognement de frustration. Agate commença à pleurer. Des yeux, il parcourt les visages, certains baissés, d’autres le fixaient avec cette lueur méprisante dans le regard. Il ne soutint pas l’agression, son objectif bien en vue, à la recherche de la gamine, mais rien. Pas aperçue depuis trois heures, dit-on. Sans doute dans le coin. Pas certain de savoir où.

Judith commençait à prendre des mauvaises habitudes et Saul n’aimait pas ça. Il n’aimait pas devoir lui rappeler des règles, lui édicter une conduite comme à une enfant capricieuse. Plus elle prenait des libertés et plus elle le rappelait à ses responsabilités. Celles lui avaient fait lever son arme vers un prétendu coupable le matin même. Dans ses bras, Agate s’agite, pleure, trépigne. Saul sert la gamine contre lui, un regard vers sa montre. Dix-neuf heures. Il devrait déjà être à la mairie pour discuter de la marche à suivre, contenir les rixes, voir les sanctions à proclamer… Rupert devait être sur les nerfs, autant que lui pouvait l’être à cet instant, la pommette gonflée et la gosse dans ses bras. Dans un juron bien placé, il emporta Agate avec lui, traversa la rue et claqua la porte d’entrée de la mairie.

L’heure défile. Vingt-heures. Vingt et une heure. Bientôt, le couvre-feu. Bientôt, il ne pourra plus rien faire. Saul patiente sur les marches de la maison, la tête posée sur son bras. Tout est calme à présent, tant mieux. Plus loin sur le perron, Agate joue avec les branches d’un arbre. Dans la distance, quelques cris, une porte qui claque. Il soupire. Ce n’est pas la journée, ce n’est pas le moment, ce n’est pas l’heure. De son sang qui bouillonne depuis huit heures le matin, il tire la force de se lever d’un bond en apercevant la silhouette de la fille. Son doigt inquisiteur se lève à hauteur de son visage alors qu’il fulmine entre ses dents : « JUDITH FUCKING SYKES.  » Elle a une sale gueule. Encore plus que d’habitude. Des yeux qui ont vu des trucs et une tête qui aimerait sans doute être ailleurs. Il ignore sa détresse en lui barrant brutalement le passage, gueulant. « T’étais où ? T’as vu l’heure qu’il est ? Et le couvre-feu ?  » Le ton n’est pas paternel, pas plus qu’inquiet. Juste furieux, juste sec, comme le coup qu’il envoie malgré lui contre la rembarde en bois, faisant trembler le perron. Agate relève la tête et crie le nom de la fille. « Judith!  » Rien. « T’as idée de ce qu’il vient de se passer aujourd’hui ? Des affrontements de partout, impossible de te trouver et personne pour surveiller la petite. C’est ça ta définition d’efficacité ?!  » Il a beau gueuler, c’est comme s’adresser à un mur. A une ado en crise. L’autre avance et le conseiller persévère, avec force de cris et de mouvements de bras brutaux qui font trembler Agate, accrochée au bras de Jude. « Me tourne pas le dos quand j’te cause ! J’espère que t’as une putain de bonne excuse Sykes, parce que j’te jure que-  » Saul s’interrompt. Il la fixe, un moment. Parce que quoi. La menace se perd derrière cette promesse qu’il s’était faite à lui-même. Celle de ne jamais abuser de sa situation, aussi précaire qu’elle pouvait être. « Et ne me regarde pas comme si j’étais le connard dans cette histoire, kiddo.  » Reprend-il sur le même ton. « T’as des responsabilités, tu les as acceptées, tu t’y tiens. Comme tout le monde.  » Il vocifère, il peste, Saul, il harangue plus qu’il ne l’a jamais fait, sans doute, devant elle, devant un petit groupe de survivants qui s’éloigne lentement sans oser piper mot. Ils y verront une méchanceté navrante, un désir de contrôle, sans doute, sadique et médisant. Saul n’exprime que son inquiétude par la manière qu’il a toujours su : avec forces de hurlement et de claquement de portes. Il n’a pas besoin d’une fureur pour répondre à la sienne, ce n’est même pas ce qu’il cherche. Il veut simplement qu’elle comprenne, avec ses mots maladroits, ses cris de sauvage et ses insultes balancées à qui mieux-mieux ; qu’il y tient, à cette caboche qu’elle trimballe au-dessus de ses épaules, et encore plus à ce machin dégueu qui pompe du sang jusqu’au cerveau et qu’il n’aimerait pas, pas plus qu’il n’aime cette situation, devoir compter les morceaux dans un futur proche.
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Judith Sykes
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyLun 10 Avr - 0:41

« i am not the ennemy. »

Le chemin du retour a été sombre, dévoré par de longues absences. L’esprit de Judith était ailleurs et brisé, elle le semait sur son trajet comme des miettes éparses. Comme ce gamin des contes qui pensait naïvement pouvoir un jour revenir chez lui. En quittant la maison ce soir, elle a abandonné une autre partie d’elle. A croire que son foutu destin était de finir en mille et un débris de ce qu’elle était, de ce qu’elle avait rêvé d’être et de faire. Une mioche au cœur couturé de cicatrices, un vétéran d’la guerre des sentiments. Vingt-et-un ans et dans le regard, cette détresse que seuls les survivants peuvent comprendre. Cette sortie lui a arraché les ailes, sectionné l’artère des espoirs et l’a laissée se vider de son sang dans le caniveau. Revenir au camp était la seule alternative qui lui restait ; Aspen a été claire à ce sujet, c’est une vendetta qu’elle seule peut accomplir. D’un autre côté, Judith n’est même pas sûre qu’elle reverra sa mère après ce soir. Est-ce qu’elle aurait dû insister, se battre pour demeurer à ses côtés malgré tout ? Elle sait pas, Jude. Elle sait plus. C’était pas supposé se passer comme ça. Alors elle est rentrée. Son sac alourdi par quelques babioles trouvées dans la maison, avant que toutes les confessions d’Aspen ne la réduise au silence mortifié. Pour Gina, pour Elise aussi. Pour son père, même si elle ne l’admettrait pas. Et dans la gorge, elle a des mots qui ne pourront jamais être prononcés. J’ai retrouvé maman. Luis est mort. Elle veut pas rentrer. Y’a bien autre chose qui reste coincé dans sa gorge, mais elle ne le laissera pas sortir. Elle a suffisamment pleuré la dernière heure. Elle a supplié, exigé, tempêté, elle a voulu comprendre et elle a dû la laisser partir. Parce qu’Aspen savait que tant qu’elle n’aurait pas vengé son fils, plus rien ne pourrait la sauver. Une fois qu’on a atteint le fond, on ne peut que remonter. C’est pas ça, le but ?

Son sweat s’accroche au barbelé, et machinalement elle se détache pour rapidement rallier les premières bâtisses du quartier. Voûtée comme une petite vieille, avec une foulée de gazelle effarouchée. Des gestes sans vie pourtant, puisque Judith n’est pas vraiment là. Dans sa tête, c’est le chaos et le désespoir. Elle a le cœur au bord des lèvres, simplement écœurée par ce mal qui lui broie la poitrine. La jeune femme ne sait même plus où elle pose les pieds, elle se laisse simplement guider par ses instincts et c’est justement à cause de son aveuglement qu’elle ne perçoit pas la menace avant qu’elle ne s’abatte sur elle. Fureur à l’état brut. Incompréhension. Hurlements et accusations. Elle sursaute violemment quand Saul sort des ombres – c’est ce qui lui semble en tout cas, elle ne l’a même pas vu sur le perron. Elle sursaute encore quand les petits doigts d’Agate viennent s’enrouler autour des siens, qu’elle se pend à son bras comme une chipie. La gamine comprend pas ce qui se passe, personne ne veut lui expliquer de toute manière. Judith encaisse les remontrances, sa démarche fortement ralentie par la carcasse de la mioche, mais elle ne veut pas prendre la peine de répondre. A dire vrai, elle ne sait même pas si elle pourrait, tant sa gorge est serrée. Elle a mal partout, elle veut simplement oublier. Elle a mal et putain, ce qu’il hurle fort ce con. A force de s’égosiller, il va rameuter tous les curieux du coin. Il la questionne, de façon plus ou moins rhétorique. Nerveusement, Jude serre la mâchoire.

Elle a envie d’lui répondre qu’elle était là, ce matin. Qu’elle a bien entendu que le conseil avait buté Pratt pour de foutues raisons, qu’elle a senti la colère monter de la foule et que… Qu’elle a pris peur, dans le fond. Les militaires sont la seule et unique raison pour laquelle ils sont tous encore là. Mais si les seuls monstres ne sont pas de l’autre côté des défenses, quel espoir reste-t-il ? Elle tente de se libérer, doucement, de la prise juvénile. Elle y parvient de justesse, a le temps de faire quelques pas que Saul surenchère.

« Me tourne pas le dos quand j’te cause ! J’espère que t’as une putain de bonne excuse Sykes, parce que j’te jure que- » Que quoi, Vasarely ?

Elle se fige sur la première marche, mais elle ne daigne même pas se retourner. Qu’il aille se faire foutre. Dans le fond, est-ce qu’il a la moindre idée de l’état dans lequel elle est ? Est-ce qu’il s’en soucie ? Tout ce qu’il veut, c’est qu’elle soit à sa disposition. Il en a rien à foutre de ses états d’âme. Il en avait rien à carrer quand il l’a balancée, sous prétexte qu’elle avait su comment traiter la blessure infectée d’un type après l’assaut de Juin. C’est pas différent maintenant. Judith Sykes, c’est sa babysitter et une adulescente trop chieuse. Instinctivement, ses prunelles assombries par la nuit quittent la marche qu’elle dévisage intensément pour s’accrocher aux siennes. Est-ce qu’il s’est jamais réellement soucié d’elle ? Comme un ami ?

« Et ne me regarde pas comme si j’étais le connard dans cette histoire, kiddo. »

Elle secoue le menton devant le surnom dont il l’affuble, régulièrement, qui lui donne juste envie de se barrer en courant maintenant. Parce que ça lui rappelle sa mère, son abandon, sa perte, sa croisade sanglante. Judith se remet à monter les marches, bien décidée à lui claquer la porte au nez s’il se risquait à la suivre. Elle a pas envie de discuter, pas envie de l’entendre l’assommer de paroles bien pensantes. Les mots ne la sauveront pas ce soir. Ceux qu’elle a déjà entendu n’ont fait que la détruire à petit feu.

« T’as des responsabilités, tu les as acceptées, tu t’y tiens. Comme tout le monde. »

Il enrage devant sa mine défiante, devant ce qu’il prend probablement comme une rébellion injustifiée. Peut-être que de temps à autres, il se dit même que c’est à ça que ça ressemblera quand Agate sera plus grande, et qu’il tente de se faire la main. Peu importe. Judith s’apprête à monter la dernière marche – cette porte ne lui a jamais semblée si loin, si haut – quand la voix fluette de la gamine se fait entendre.

« Judith, tu… saignes ? »

Et elle trébuche, bêtement. Elle manque même de s’étaler de tout son long. Elle avait oublié ; ses yeux s'écarquillent, tombent sur les mains maculées de sang séché. Agate n’a pas pu s’en mettre, ça fait des heures que ça s’est incrusté dans sa peau. Le sang de sa mère. L’odeur ferreuse lui monte aux narines et l’envie de vomir se fait plus forte. Elle a sauvé Aspen… Pour la laisser se faire tuer ailleurs. Et l’autre l’a fait jurer. Jurer de ne rien dire. A personne. Elle serre et desserre les poings, sentant le film écarlate craqueler par endroits. Tout se passe en une poignée de secondes, sa surprise et le retour du masque sombre sur ses traits fatigués. Épuisés. Judith garde ses yeux ailleurs que sur Saul, ailleurs que sur Agate. Regarder l’enfant lui renvoie d’autres souvenirs, d’un petit gosse au sourire édenté qu’elle n’aurait jamais plus l’occasion de serrer dans ses bras. Tout fait mal, ce soir. Tout.

« Screw you, Saul. » Nul incendie dans la voix, juste de la lassitude. Une fervente envie qu’il se tire avec Agate avant que les choses ne dégénèrent définitivement entre eux. « Prends tes responsabilités et occupe-toi d’Agate. Elle n’a pas besoin de voir ça. » Ses mains pleines de sang. Le bas de son sweat plein de sang aussi, parce qu’elle a eu le mauvais geste de s’essuyer dessus pendant qu’elle opérait à l’aveuglette. Le sac sur ses épaules se fait lourd, alors elle s’en défait d’un mouvement d’épaules en avançant à nouveau. C’est tout ce qu’elle arrive à faire. Avancer. Elle peut même pas les regarder en face, l’homme plein de rage et la mioche emplie d’incompréhension. « Ça fait des heures qu’elle devrait être au lit. »

Elle sait. C’est elle qui s’en occupe, assez souvent d’ailleurs. Gina est endormie depuis des lustres. Elise est sans doute quelque part dans la maison, en train de fomenter une énième fugue. Et son père… son père…

« T’as qu’à aller te plaindre à mon père. »

Il la traite comme une adolescente, alors c’est tout ce qu’il récolte. Elle veut pas de dispute, elle veut pas de remontrances sur son comportement débile. Si elle était pas sortie… Aspen serait peut-être morte. Mais dans ses rêves, Luis et elle seraient toujours en vie. Ses espoirs auraient le parfum des beaux jours. Elle cale ses doigts encore collants, qui empestent le sang, sur la poignée de la porte. Étouffe un reniflement mouillé.

« J’irais au trou demain, lieutenant. »

Oh, la vilaine morgue qu’elle lui sert. Mais c’est la seule chose qui peut sortir de sa gorge nouée. La seule chose qu’elle peut faire. Le reste, elle a pas le droit. Elle a promis. Et putain, ça la ronge déjà.
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyLun 10 Avr - 3:07

Il sait, il le voit bien, à son dos voûté, à son allure pressante, apeurée, presque divagante : quelque chose ne va pas. Judith Sykes a vu des trucs et Judith Sykes va lui dégueuler son quatre heures sur les pieds, là, près du perron, c’est un fait, bientôt une réalité. Pourtant Saul ne parvient pas à se calmer. Il ne parvient pas à entendre cette petite voix, dans le fond de son crâne, qui devrait lui communiquer compassion et gentillesse ; et c’est peut-être ça le problème, depuis le début, c’est que Saul n’est pas un fou, et il n’est pas un neurotique, que là-dedans ça ne fait que rentrer et sortir et que la petite voix s’est perdue très loin dans un morceau de récif et qu’il ne reste seulement un lointain écho de machins qui chutent et qui chutent et qui chutent encore. Emportant avec eux une partie de son sens des réalités.

Pourtant, il s’attarde. Pourtant, plutôt que de placer la menace d’un grognement bien senti, il s’interrompt, se reprend, enchaîne. Il essaye de comprendre, lentement, avec ses questions, avec ses mots, avec cette main qu’il impose dans son champ de vision. Saul n’est pas un monstre, bien que peu s’attèle à démontrer le contraire. Il répondait à des instincts dont lui seul était maître et savant, en ignorant des conventions sociales pourtant largement adoptées. Pas le temps. Pas l’envie. Pas le talent non plus. Pas ce sens inné pour la cajolerie, et l’apaisement, et le réconfort. Il comprend bien que c’est tout ce dont elle aurait besoin en ce moment, mais pas plus qu’il n’a envie de jouer au chef, il ne sait incarner l’ami. Ses bras moulinent des mouvements brusques, sa bouche articule des mots qui vont se perdre dans le vide. Et Judith ne l’écoute pas, Judith ne l’a jamais écouté. Il serait temps qu’il change de stratégie. Il va pour la saisir au bras, pour l’empêcher d’avancer vers cette porte qu’elle lui claquera sans doute au nez à la première occasion mais c’est sans compter la petite voix frêle, sortie des méandres d’une étreinte arrachée : Judith… tu saignes ? Saul baisse les yeux sur l’enfant, et sa lancée se coupe. Se brise. Il baisse les yeux et voit l’état de ses pompes, de ce pardessus qui lui colle à la peau. Un début de pantalon jonché de boue. Saul baisse les yeux au sol. Le sien est immaculé et la devinette fait rapidement le tour de son crâne, si rapidement qu’il n’a pas le temps de s’avancer pour l’aider à se relever que la question brutale est balancée dans un ton de voix bas. Secret. « Et ton père, il sait que t’étais dehors ? » Lance-t-il. Agate regarde son oncle, regarde Judith. Elle lui lâche la main.

Elle n’oserait pas le prendre pour un con. Ou peut-être que si, mais pas pour longtemps. Pas lui. Il ignore soigneusement ce qui suit, des provocations destinées à lui faire oublier la question de l’enfant, la chute, la vérité. Le trou ? Ce n’est pas à la hauteur de ce qu’elle mériterait, si les lois des environs s’étaient appliquées à Judith Sykes pour un jour de son existence. « Sans permission, j’imagine. » Continua Saul, après le long silence qui avait suivi sa question. Pas difficile à deviner : il était celui qui distribuait les médailles pour les allers et venues des habitants de Lafayette. Une verve pareille, surmontée d’un tel caractère de cochon… il s’en serait souvenu.

Saul fait trois pas, et sa silhouette haute surmonte rapidement celle de Judith. Quatre marches en plus ou pas. « Avance. » Lance-t-il plus calmement. Il lui montre la porte d’un mouvement de tête et attrape la main d’Agate. Rien ne bouge. Saul se penche, et dans le creux de son oreille, il fait vibrer un murmure teint de la rage qui l’habite. Rage qu’il ne peut pas exprimer, à cet instant ; pas ici, pas en public. Là où les murs avaient des oreilles. « Putain je te jure, si j’étais toi, j’avancerais. » Les gongs grincent finalement. La maison est silencieuse. Au passage, le conseiller allume une grosse lampe jaune près de l’entrée. La lumière lugubre éclaire faiblement le salon. Immédiatement, telle une mouche fascinée par la barbaque, Agate se jette sur une poupée qui traîne là. Saul se tourne vers Judith d’un mouvement brusque. « Montre tes mains. » Évidemment, l’éviction est suivie d’un nouveau silence qu’il accueille d’un sifflement mécontent. Un jour, cette fille écoutera. Un jour. Un jour… « Judith. » Articule lentement Saul, en se retenant de ne pas exploser une nouvelle fois. « Si tu me montres tes mains, je n’appelle pas le médecin de garde. » Il rouvre les yeux. « Promis. » Quelqu’un doit le faire. Ce sont les ordres. Ce sont les lois, ce sont les règles, qui existent pour des raisons qu’il ne saurait nommer lui-même, mais des raisons tout de même. Il attrape sa main et le battement de son cœur ralentit. Derrière le carmin teinté des jointures, la peau est claire, immaculée. Ce n’est pas son sang. Ce n’est pas le sang de Judith. Saul soupire. Son esprit balance entre déception et l’envie d’attraper quelque chose et de le balancer plusieurs fois contre les murs, que ça se brise, que ça se pète que ça- « On a des règles. » Sa main est toujours dans la sienne. Il frotte la paume avec peu de délicatesse pour en chasser les particules carmin. « Chiantes, aliénantes, pas nécessairement justes… des règles quoi. » Un soupir et il la fixe. Il attend. Son regard s’attarde sur la courbe d’un sourcil, au creux d’un œil où la déshydratation fait peler la peau morte. Maintenant, il veut savoir. Car maintenant il est trop tard. C’est leur secret, à eux deux. Elle a encore le choix mais pas sûr que Saul le lui laisse.
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Judith Sykes
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyLun 10 Avr - 4:21

« i am not the ennemy. »

Saul est peut-être a royal pain in the ass quand il veut, mais il sait aussi se servir de son cerveau. Le truc qui lui envoie probablement des tonnes de signaux contradictoires quand il regarde Judith, avec ses grands yeux d’enfant, son innocence qui a foutu le camp, sa psyché qui est au bord du suicide. Pour le coup, ce soir, y’a plus d’espoir. Plus d’étoiles qui brillent dans les reflets marins de ses prunelles. Plus de naïveté. Peut-être que ça ira mieux demain, dans une semaine, dans quinze jours. Peut-être que ça empirera. Il faut survivre pour savoir de quoi demain sera fait. Et pour le coup… en voyant la façon dont le visage du militaire se crispe, elle a quelques doutes qui dansent parmi ses pensées noires. La chair de poule qui lui envahit les bras, la nuque. Elle n’aime pas ce regard. Ce n’est pas que la jeune femme a peur de Saul, parce qu’elle sait pertinemment qu’il ne la blessera pas de cette façon, mais c’est une réaction naturelle. Inconsciente devant la menace qu’il fait planer sur elle. Et étrangement, aussitôt qu’il la questionne, le malaise s’estompe. Rien à carrer, dans le fond. Sa mère est partie. Elle a préféré se coltiner des rôdeurs et des survivants complètement cinglés plutôt que d’essayer de rentrer avec sa fille. Auprès d’Elise et de Lowell. De découvrir sa petite-fille, Virginia. De reformer leur famille, en dépit de la mort de Luis. Quelque chose lui pique le cœur, à Judith, quand elle pense aux derniers mots d’Aspen : elle lui en veut. Elle en veut à tout le monde. Saul tente de la faire bouger, de l’intimider, ses manœuvres effleurent à peine l’esprit de Jude. Après le chamboulement qu’elle vient de vivre, elle ne sait pas tellement si ça lui importe qu’il la mette au trou ce soir ou demain. Son père n’appréciera pas de savoir ce qu’elle a fait, elle récoltera d’une deuxième dose de réprimandes comme si elle n’était qu’une gamine insolente. Comme si elle n’avait pas atteint sa majorité depuis plusieurs mois, maintenant. Et le droit d’avoir une vie à elle, qu’elle a depuis ses dix-huit ans, elle l’a perdu quand ils ont érigé les barrières. Dans le fond, c’est ça le prix de la survie. L’obéissance. Le souffle de Saul lui caresse la joue, meurt dans la courbe de son cou ; ironiquement, ça aurait pu être très différent comme genre de proximité. Elle penche la tête, fait un pas en arrière, pivote vers la porte.

« Tu m’emmerdes, » qu’elle lui murmure en retour, de façon à ce qu’Agate n’entende pas tout.

Ce n’est pas la première fois qu’elle jure devant la mioche, mais il faut quand même essayer de lui montrer un meilleur vocabulaire. De temps à autres. Plus qu’obligée de se plier aux ordres de Vasarely, Judith finit enfin par s’engouffrer dans la maison. Celle qui appartenait à des amis de la famille, des flics comme son père. Ils n’ont pas eu de chance dès les premiers jours et depuis, ce sont les Sykes qui habitent là. Aucune lumière n’est allumée, signe qu’Elise est probablement assoupie – ou ailleurs, mais elle ne la balancera pas si c’était le cas. Gina doit être dans leur chambre. L’envie d’aller vérifier la taraude, un besoin presque primaire. C’est plus elle qui s’occupe de sa nièce que sa propre mère. Un bout d’innocence perdue dans la sauvagerie de ce nouvel univers. Elle ne l’avouera pas à Saul, mais ça lui fait plaisir de s’occuper d’Agate et d’elle. Cela lui permet de se ressourcer, d’être apaisée le temps de quelques heures. Elle aurait bien besoin d’un peu « d’apaisement » là, avec son cœur qui tambourine dans sa poitrine comme un oiseau blessé dans une cage. A chaque battement, ça lui fait mal, ça la brûle. Elle inonde le couloir de l’entrée d’une lumière blafarde, traînant dans son sillage le militaire et sa protégée. Saul allume une petite lampe du salon, laissant les ombres jouer avec les ténèbres profondes. L’œil de la chipie remarque une poupée, oubliée par Gina et elle s’en empare rapidement pour jouer, pendant qu’ils se décalent de quelques pas. Saul ne lui laisse pas le temps de se décharger du sac, d’enlever ses bottes pleines de boue qu’il lui saute pratiquement à la gorge. Mains. Mesures de sécurité pour éviter la contamination. Elle croise ses prunelles enragées, dures, les soutient sans sourciller. Avec ce regard un peu vide, un peu sonné de celle qui vient de voir ses rêves se faire anéantir par la seule personne qui aurait pu les réaliser. Groggy, la Judith, elle ne réalise pas vraiment ce qui se joue entre eux. Au-delà des consignes qu’il se doit de faire respecter, il s’inquiète vraiment pour elle. C’est juste que Saul, il a toujours été maladroit pour ça. Pire qu’un ours. Complètement con par moments.

« Judith. » C’est presque drôle. Presque. La fumée lui sortirait des oreilles si c’était biologiquement faisable. Et elle, elle reste de marbre. Parce que la seule alternative, c’est de lui jeter son sac dessus ou de s’effondrer sur le sol. Ni l’une, ni l’autre ne semblent des options acceptables. « Si tu me montres tes mains, je n’appelle pas le médecin de garde. » Silence. « Promis. » Elle serre les dents, crache plus qu’elle ne parle. « Un jour, ça sera peut-être moi, et ça marchera plus ton truc. »

De mauvaise grâce, elle tend ses mains. Si elle ne l’avait pas fait, nul doute qu’il s’en serait emparé de ses grandes pognes calleuses. Paumes vers le haut. Paumes vers le bas. Inspectées sous toutes leurs coutures. Elle tremble un peu, pour être honnête. Elle n’arrive pas à les garder droites, ses mains, mais ça importe peu. Elle sait qu’il ne trouvera rien ; rien de plus que le sang de ses espoirs. D’Aspen. Il examine, il rumine, il continue de l’asticoter. De l’emmerder, hein. Sa mâchoire va finir bloquée à force de rester close. Elle le laisse faire, parce qu’il semble pas satisfait de son examen. Curieusement, la chaleur de ses dextres rugueuses se communique aux siennes. Elle avait pas conscience d’avoir les doigts aussi froids et gourds. Instinctivement, Judith roule des yeux quand il se prend dans un monologue sur le règlement du camp. Elle ne le connaît que trop bien et, merde, c’est la première fois qu’elle le contourne.

« Pratt était un connard décérébré, alors ? Un danger pour la communauté, un parasite qu’il fallait évincer ? » Ses mains s’échappent des siennes, profitant de la brève surprise qui semble passer sur le visage de Saul. Elle a parlé comme une contestataire de l’ordre établi, alors que concrètement elle est à des lieux de vouloir renverser le Conseil. Plus rien ne l’atteint. « Tu devrais t’en faire distribuer un autre, je le ferais bien mais j’aimerais autant conserver l’usage de mes mains. »

Le bleu de ses yeux passe sur la pommette gonflée du militaire et elle se détourne, lâchant enfin ce foutu sac. Sans crier gare, elle se débarrasse aussi du sweat maculé de sang – et heureusement pour le myocarde du presque quarantenaire, elle a un débardeur à bretelles en-dessous. Avec des mouvements presque théâtraux, elle écarte les bras pour qu’il puisse noter qu’elle n’a aucune autre blessure apparente.

« Tu veux que j’enlève le reste, ou ça te suffit ? » Oh, elle sait ce qu’il veut. C’est pas elle, c’est son planning de ces dernières heures. T’étais où ? A qui il est, ce sang ? Putain, qu’est-ce que t’as foutu Judith ? « J’ai rien. » Plus rien. Littéralement. Plus de famille. Elise at une araignée au plafond et le diable au corps, elle a perdu le moyen de communiquer avec son père depuis des années, son petit frère est mort à des kilomètres d’elle et sa propre mère choisit la vengeance au lieu de sa progéniture. Y’a bien Gina, mais… « Je… »

Brusquement, une chaleur étouffante l’envahit. Y’a tout qui remonte, encore. Son corps et son esprit font de la balançoire, un yo-yo interminable et infernal. Elle recule, pas pour lui échapper, mais pour respirer. Elle se détourne finalement pour rallier la cuisine, la pièce attenante au salon et va attraper une bouteille d’eau. Pour chasser le goût amer de la bile qui lui traîne sur la langue. Le goût du fer qui empeste ses narines, son palais. L’idée, d’abord vague, de faire disparaître la rouille de ses mains pâles lui paraît soudainement la plus attrayante de toutes – oh, Saul doit probablement enrager de la voir s’agiter d’un coin à l’autre sans lui donner ce qu’il veut. Elle ne donne pas deux minutes pour qu’il l’attrape par le coude, qu’il lui hurle de se retourner ou qu’il fasse quelque chose de parfaitement Saulesque. Un truc con. Un truc déplacé. Un truc de militaire coincé. Mais une fois que ses mains sont sous l’eau, dans l’évier, qu’elle frotte comme une demeurée jusqu’à s’écorcher la peau, elle perd conscience qu’il est là. Elle gratte. Elle gratte encore et encore, avec cette impression que le sang de sa mère est toujours là. Au début ses mouvements sont lents, posés, puis ils gagnent en intensité et en vitesse. En brutalité. Elle veut juste que ça s’en aille. Elle veut juste pouvoir oublier. Sa gorge se coince à nouveau, Judith réprime un excès de colère. Contre elle. Contre Aspen. Contre ce secret à la con. Contre Saul et son esprit rigide. Contre ce qu’on vient de lui arracher. Luis n’est plus là. Et elle n’a même pas pu lui dire au revoir. La vision de Jude se brouille, bêtement, inconsciemment. Elle frotte et l’écarlate qui macule ses mains est avalé par le siphon.

« Je sais plus… » qu’elle murmure pour elle-même, penchée sur l’évier, à s’éplucher la peau comme une forcenée. « Je sais plus… Je sais plus ce que je lui ai dit en dernier… »

Les derniers mots à son frère datent de plus d’un an. Et elle n’a aucune putain d’idée de ce qu’ils étaient. Des encouragements pour sa stupide compétition de natation ? Sûrement. Mais elle était pas là, le jour où il est parti. Elle n’a même pas pu lui dire au revoir. Et c’est la dernière pensée qui virevolte, se heurte dans les coins de son esprit quand elle se laisse brusquement glisser contre l’évier, jusqu’au sol. Sans prévenir. Saul doit avoir l’impression qu’elle flanche, qu’elle a quelque chose qui va pas. Y’a rien qui va. Elle a perdu son petit frère et plus rien ne va.
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyMar 11 Avr - 3:25

Judith n’avait pas l’air d’être ravie à l’idée de se plier au contrôle de routine - parfaitement désuet, effectué avec dédain et une drôle d’assurance qu’il tirait sans doute de son sérieux théâtral – alors que Saul soulevait et resoulevait les morceaux de peau, les mains carmins, les débuts de manches tachetées d’une liqueur brunâtre ; les preuves inéluctables d’une sortie inopinée, qu’il aurait remarqué malgré l’obscurité, s’il avait eu la gentillesse de lui prêter plus attention. La gentillesse. Définitivement pas de quoi décrire ce qui l’obsédait alors qu’il fallait rouler les phalanges sous ses gros doigts caleux. L’inspection est aussi longue que la gamine est exécrable. Elle baratine ses trucs, à propos d’un médecin de garde qu’elle se rêve à devenir à l’instant, et Saul se retient bien de lui renvoyer l’affirmation au visage : tu peux toujours courir. Il remarque bien que les doigts tremblent, que ça doit s’agiter en haut : qu’à force d’éclats et de cris, il aurait bien fini de fêler les dernières protections faiblardes de l’enfant. Mais Saul avait des objectifs bien plus gracieux que de se soucier de son bien-être à cet instant précis. La survie de l'espèce, pour commencer.

C’est qu’il faut qu’elle comprenne. Que ce qu’elle fait a des conséquences, et qu’ultimement, quelqu’un doit en être responsable. Que si ce n’est pas lui, ce sera un autre, avec des manières plus ignobles, plus grotesques, des gestes de bêtes dans un corps d’homme ; et qu’est ce qu’elle préférait, elle, Judith Sykes, la claque réelle ou celle qu’il préférait lui asséner dans un ton de voix rauque ? Puisqu’il avait beau chercher de quoi s’enfermer dans une violence punitive, en la regardant, il ne trouvait qu’une main fuyante en lieu et place des griffes. Ce n’est qu’une enfant. Une enfant qui a peur. Une enfant qui a vu et se souviendra pour toujours. Ne fait il pas les mêmes cauchemars, lui aussi, en éteignant la lumière le soir ?

Il y pense, si fort, lorsqu’elle lui assène sa journée au grand complet de deux questions bien placées, et Saul se permet la surprise dans le regard, les mains lâchent leurs doubles dans la demi-pénombre de la pièce. Il serre les dents et il acquiesce : « Oui. » Oui, Pratt l’avait mérité. Ne l’avait-il pas tous décidé dans cette pièce close, témoin du vote ? A cinq contre un, d’une vérité que l’histoire retiendrait peut-être. En tendant l’oreille, Saul peut encore saisir l’instant du tir, et l’odeur de poudre, et son doigt qui a glissé sur la gâchette ; le dernier cri du condamné et le soupir rassuré de Rupert, qui n’avait pas eu à le faire. De Pratt, il ne reste pas grand-chose dans l’esprit de Saul, sinon les images de la journée, des rixes endiablées et de ce poing projeté dans l’air avec force de ressentiment, qui avait creusé légèrement la pommette sous son œil. La remarque ne passe pas inaperçue, mais Saul se contente de la fixer, interdit d’une phrase qu’il ne pensait jamais entendre dans cette bouche, dans ce corps, dans cette enfant qui en sait plus qu’elle le devrait. Elle se détourne simplement et entame une danse dont il ne réalise qu’au dernier moment les aboutis. Un morceau d’épaules, puis un autre, passe devant ses yeux. Saul détourne le regard, et crache plus fort, oubliant l’heure et l’endroit, dans une gêne incalculée qui le prend tout d’un coup. « Arrête tes singeries, rhabille-toi. » Il balance rapidement, d’une voix rauque. Elle a gagné.

Il s’attend à en entendre parler, et puis quelque chose se brise. Fait un tour et qui revient, sauvagement. La voix s’interrompt, et lorsque Saul relève la tête, Judith fait des pas chancelants vers la cuisine, attrape une bouteille d’eau comme le corps du Christ. Ça y est. Le quatre heures qui remonte. Il reste là à la fixer comme s’il attendait. Des explications, la fin du monde, n’importe quoi. La vérité c’est qu’il ne sait pas quoi faire. Les mains tombent dans l’évier, et plus rien n’existe pour elle, alors lui, vous pensez bien… Et la gamine qui s’égosille, tire, étire, tellement que ça sort Agate de son jeu et que l’enfant relève la tête, au même niveau que son oncle, et qu’elle fixe, avec le même regard idiot, le même regard interdit, avec cette même curiosité perdue dans de l’impuissance, Sykes se déchirer un morceau de peau et le cœur avec. Il voit bien qu’elle essaye. Il voit bien qu’elle n’en peut plus. Il faut qu’il tende l’oreille, alors qu’il s’avance pour essayer de faire quelque chose, n’importe quoi, il trouvera bien au moment de la toucher, mais alors elle est à ses pieds. Quelque chose entre l’éponge et le mouchoir. Un machin mou et sans vie, qui glisse le long du comptoir dans une dernière complainte et qu’il contemple sur le moment d’un œil égaré, vrillant d’impuissance. Agate s’est approchée, curieuse. Saul la repousse doucement, d’une main passée sur la franche malmenée de la gamine. « Va jouer. » Sage, l’enfant s’éloigne. Son regard tombe sur les mains de Judith, qu’elle s’est arrachée à la tâche. Saul souffle, plus pour lui-même, il attrape un torchon qui traîne là, et dans un mouvement particulièrement douloureux, s’abaisse. Sa jambe grince. La fausse, celle qui rouille avec l’humidité des lieux, du temps, du sang. Il tire sur le machin qui se refuse à plier et s’affaisse brutalement, donnant un coup au passage au petit corps près de lui. S’excuse à demi-mot, tend le torchon sans s’attendre à ce qu’elle le prenne. Saul, il aimerait juste pouvoir appeler le psy, mais il comprend que ce n’est pas ce qu’elle attend de lui. Peut-être qu’elle n’attend rien d’ailleurs. Comme tout le monde. Elle aurait bien raison. Lui, il attend beaucoup de Judith. Peut-être trop.

Saul se râcle la gorge. Il s’est adossé contre le pan d’armoire, et depuis c’est le silence. Agate joue plus loin, barbote dans des bruits dont seul les enfants ont le secret. Il étire sa jambe – la morte – et ramène celle qui vit encore contre son torse. Sa tête fait un petit bruit sourd lorsqu’elle s’affaisse contre le bois de l’armoire. « Bonne journée. » Dit-il doucement. « Ça doit être ça, non ? Le truc qu’on dit le plus souvent en dernier. Bonne journée. Au revoir. » Il réfléchit un moment, pensif, avant de surenchérir. « T’es garé à ma place, connard. Pense à acheter le PQ. Je rentrerai tard ce soir. Est-ce qu’on est obligé de passer voir ta mère ce week-end ? » Il se pencha légèrement vers Judith. « Famous last words. »  Murmure-t-il en plissant le nez. « Henry-Mathieu a sa leçon de piano cet après-midi. Qu’est ce qu’on mange ce soir ? Le chien a encore pissé sur le canapé. Qu’est ce que tu fais ? Je suis là. » Il s’interrompt. Saul abaisse le torchon sur les mains déchiquetées de Judith. Il serre puis il lâche. Évitant soigneusement son regard. « Je suis là. »

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Judith Sykes
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyMar 11 Avr - 16:26

« i am not the ennemy. »

Peut-être que la réponse de Saul ne devrait pas la surprendre ; après tout, il se traîne déjà une sale réputation à cause de ses affiliations avec Rupert et de son caractère de merde. D’un autre côté, Jude pense sincèrement avoir appris à connaître l’homme derrière le militaire grâce aux longues heures de babysitting – elle le pense, ou elle veut le croire. Alors forcément, quand il lâche un oui impitoyable, son sang se glace. Un peu, malgré tout. Qu’est-ce qu’il peut dire de plus, de toute façon ? Il n’y a rien à rajouter. Pratt est mort. Toutes les justifications du monde ne pourront pas éviter au Conseil de se faire un peu plus haïr. Toutes les excuses qu’ils pourraient trouver ne ramèneront pas Pratt. Elle ne lui dira pas, mais elle le connaissait un peu. Si tant est que deux nuits passés ensembles aident à connaître l’autre. Elle l’aimait bien, Pratt, comme à peu près tout le monde à Lafayette. Et maintenant, lui aussi il est parti sans qu’elle puisse lui dire au revoir. Tout revient à ça, à la chance qu’elle n’a pas eue, aux mots qu’elle n’a pas pu dire. Alors Judith, elle s’effondre simplement contre l’évier, ses mains à vif posées sur ses genoux, le regard perdu sur le sol. P’têtre bien qu’elle va perdre la boule. P’têtre bien que c’était l’épreuve de trop.

Mais non. Elle se relèvera, parce qu’elle le doit. Elle peut pas faire comme Elise et en vouloir perpétuellement au monde entier – elle peut pas repousser les autres. Parce que c’est ce qui fait qu’elle est humaine, elle a besoin de ce contact pour aller mieux. Certains pourront considérer ça comme une faiblesse, de se raccrocher à d’autres personnes pour survivre. Pas elle. C’est une solution temporaire parfois, parce que dans ce nouveau monde les gens meurent plus vite qu’ils n’apparaissent dans sa vie. S’accrocher à eux, c’est prendre le risque de souffrir à chaque fois qu’ils disparaissent. C’est aussi se sentir mieux quand ils sont là, en sécurité, appréciée. Comprise. Aimée, qui sait ? Elle est encore un peu naïve Judith, elle n’a pas eu affaire aux côtés les plus sombres de cette Humanité survivante, mais on lui pardonne aisément. L’espoir qu’elle a, c’est une denrée rare. C’est une qualité. C’est plus précieux que l’or, l’espoir : plus vital que la bouffe, que l’eau. Mais c’est aussi plus fragile que le reste.

Aspen en a sans doute cassé un bout, avec ses demandes absurdes, ses confessions, ce qu’elle lui a demandé de garder pour elle. Judith oublie jusqu’à la présence de Saul et d’Agate, elle tente simplement de se souvenir. C’était quoi, ses derniers mots à elle ? Ses derniers mots à lui ? Elle aurait pu rester des heures comme ça, si le choc du corps du militaire contre le sien ne l’avait pas subitement tirée de là. A moitié seulement. Juste assez pour qu’elle se rende compte que ses mains lui faisaient mal, qu’il était bien trop près et en même temps pas assez. Sa chaleur contre son épaule la brûle et la réconforte. C’est tout ce qu’elle demande, Jude, un peu de chaleur humaine. Elise lui tourne le dos quand elle ne lui hurle pas de lui foutre la paix. Son père pense plus à la survie et à renouer avec sa fille disparue qu’à se soucier réellement de ce que son autre fille traverse. Gina elle l’aime, sa tante, elle l’aime même si elle ne la connaît pas depuis longtemps. C’est instinctif, presque. Comme ce besoin que Judith a de vouloir la protéger, quand Elise ne veut plus d’elle. Alors que la jeune femme pensait que Saul allait finir par se tirer, il prend finalement la parole. Plus doucement. Elle n’a pas remarqué le torchon qu’il lui tend, elle ne le regarde pas. Mais elle l’écoute, ça oui.

Il a sûrement raison. Quels autres mots y a-t-il à dire, quand on est au téléphone avec quelqu’un, à part « salut ! » ? Elle fouille dans sa mémoire, l’écorche autant qu’elle a dévasté la peau de ses mains. Concrètement, ce n’est pas bien grave, elle est juste à vif et très sensible. Un peu comme son âme ce soir. Un peu comme son cœur. Le militaire continue son monologue, elle voit les phrases qui défilent dans sa tête comme un film en projection. En d’autres circonstances, peut-être que ça l’aurait fait sourire sa tentative d’être moins bourru. Son essai à l’empathie, à l’expression des sentiments. Un sourire doux et amer. Elle tressaille quand le torchon tombe sur ses mains, à cause du contact avec le tissu rugueux, parce qu’elle ne s’attendait pas à ça de sa part.

« Je suis là. »

Elle prend une profonde inspiration, qui la fait trembler de tout son être. A moins que ça ne soit à cause des mots de Saul. Elle veut pas tellement savoir. Elle ne veut pas comprendre, parce que risquerait de ruiner ce qu’il fait. Elle ne veut pas, non plus, se demander s’il le fait de façon sincère ou s’il… se sent obligé, sans doute. Est-ce qu’elle le pense vraiment, qu’il serait prêt à se mettre dans une position aussi précaire juste parce qu’il se sentirait redevable ? P’têtre pas. Sûrement pas. Mais c’est Saul et elle ne veut pas s’attendre à ce qu’il change pour elle. Ce soir, elle n’a pas envie de se poser des questions. Juste une, qui tourne encore, qui cherche sa réponse. C’était quoi, putain ? Judith expire lentement, avec l’étrange sentiment de laisser une partie de son malaise s’évacuer. Un soulagement. L’espace d’une respiration. Sans un mot, sans même le regarder, elle soulève le bras du survivant pour le laisser sur ses épaules, se glissant plus étroitement contre lui. Elle veut juste ça. Qu’on soit là. Qu’on survive. Elle renifle vaguement, verrouille son corps contre le sien, la tête posée sur son torse. Elle aimerait qu’il la serre plus fort, jusqu’à l’étouffer de sa chaleur. Mais elle ne demandera pas.

« Mets-leur la pâtée, Aquaboy. »

Son souffle prend presque timidement forme. C’est ça, qu’elle se dit. Elle a découpé sa mémoire en petits cubes, elle a écumé les zones d’ombres. Il l’avait appelée pour lui dire qu’il avait été sélectionné. J’ai gagné, Judie. Maman a dit que je pouvais t’appeler pour te l’dire, on va à Indianapolis ! En fermant les yeux, elle pouvait presque se souvenir de son visage, avec sa grosse dent d’adulte au beau milieu de son sourire d’enfant. Elle ne se souvient plus du reste de la discussion, seulement de brides. T’es le meilleur, champ’ ! Peut-être qu’elle avait l’esprit ailleurs ce jour-là, dans des révisions d’examen. C’est pour ça que c’est tellement brouillé dans sa tête. Mais elle peut pas oublier qu’elle le traitait toujours d’Aquaboy, en référence au superhéros Aquaman. C’était con.

« Je… » Elle doit pas parler, Aspen ne voulait pas. Sa mère lui a fait jurer de ne pas dire qu’elle était en vie. Mais ça s’appliquait qu’à Lowell et Elise, non, cette promesse vérolée ? Sa mère ne voudrait pas qu’elle crève à petit feu à cause de son secret. Judith soupire, frotte machinalement sa joue contre le tissu un peu rêche qui recouvre le torse de Saul. Dans son oreille, y’a ses battements de cœur qui résonnent. Ça l’apaise. Il est en vie. Il est là. Quel enfoiré, quand même. « J’ai vu ma mère, Saul. » Voilà c’est dit. C’était ça qu’il voulait savoir, non ? « Je suis rentrée à la maison et elle était là. Comme si rien n’avait changé. » Elle s’était quand même fait tirer dessus, elle était mal au point. Mais elle était là, elle aussi. En vie. « Mais Luis n’était pas avec elle. »

Elle croit bien lui avoir déjà parlé de lui. Oh, elle en est même certaine. Judith, c’est pas le genre de fille à ne pas prononcer le nom des gens disparus, simplement parce que y’a un risque qu’ils ne reviennent jamais. Agate lui rappelait son petit frère, assez souvent, le petit bout d’homme qu’il aurait pu devenir. Qu’il aurait devenir. Sa gorge se serre un peu pourtant, rien qu’à la mention de son prénom. Elle se mord les lèvres. Est-ce que ça lui fera toujours autant mal ? Comment est-ce qu’elle sera supposée affronter Elise demain, si elle n’est même pas capable de lui faire face à lui, ce soir ? Comment est-ce qu’elle pourra garder ce secret ?

« Saul ? » Ses prunelles glissent sur ses mains encore rougies par la maltraitance. Le torchon a dû glisser quelque part, quand elle s’est rapprochée de lui. Elle hésite un peu. N’hésite plus. « Serre-moi plus fort. »

Encore quelques secondes. Juste un peu. Juste assez pour qu’elle reprenne le contrôle. Juste assez pour qu'elle se sente mieux. Juste assez pour qu'elle sache qu'il est vraiment là. Aide-moi.
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyJeu 13 Avr - 1:27

Mais dans quel état ce monde les a-t-il mis.

Saul fixe le vide devant lui, l’obscurité féconde dans laquelle navigue les ombres, les formes, l’écho de sons lointains. Dans le coin du regard, la lumière se reflète en dorure sur les cheveux de la petite Agate, seul être en mouvement dans la fixité étrange, dramatique et terrible de leur tableau vivant. Judith est à moins de quelques centimètres et c’est à peine s’il l’entend respirer. Ses gargouillis de détresse ont fini par mourir au coin de ses lèvres, et à part la scène qu’elle doit se répéter mille fois entre ses deux yeux vitreux, il ne reste pas grand-chose d’une vie sur son visage adulescent. Il aimerait pouvoir se lever, et la secouer, et la balancer quelque part, l’évier par exemple, mouiller toute sa gueule dans la flotte, récupérer ce qui est encore là et recommencer. La décrasser de maux et de bruits qui la retiennent à ses soupirs mécaniques. Mais Saul a trop peur de briser la machine, de frapper trop fort et de rendormir la bête, au fond, celle qui a le culot de l’appeler lieutenant et de foutre un pied de nez à la hiérarchie.

Et parce qu’ultimement, il a besoin d’elle. Par défaut, d’abord, plus pour Agate, pour ce petit humain fragile qu’il se traîne comme un fardeau depuis le début de la fin. Ce petit humain à qui il tient plus qu’il ne le laisse paraître, malgré les remontrances, et les soupirs et les prises de tête et les pleurs et les cris. Malgré ces grands yeux bleus, malgré le pieu qu’elle enfonce quelque part dans son moignon qui lui sert de cœur, à chaque fois qu’elle appelle maman. Mais juste le fait de savoir que ce truc-là, qui bave, qui crie, qui rit, qui vit ; est en sécurité, quelque part, est la raison de leur survie à tous. Il n’y a rien que Saul ne puisse faire, libéré de ses démons et des responsabilités paternels imposées. Et la sécurité, c’est Judith. La bouée de secours, l’âtre dans le feu et le sein maternel, toutes ces conneries construites autour des mythes et de ces figures tranquilles de mère déifiés ; ultimement, oui, Sykes c’est ce qu’elle représente. Et c’est un désir égoïste, il le sait, que de vouloir la réparer pour sa conscience d’esprit et pour le reste du troupeau, qui bêle comme jamais que le loup est dans la bergerie. C’est même un peu triste, quand on y pense. Mais il fera ce qu’il faut pour que ce machin-là garde la tête hors de l’eau. Coûte que coûte, même s’il doit lui-même boire celle de la piscine.

Et soudain, la noyée lui fait signe. Elle soulève son bras, se glisse près de son épaule. Il la laisse, sa main retombe dans la continuité de leurs corps. Furtivement, en reniflant à grands coups, elle creuse son chemin dans l’épiderme. Un soupir, et contre son avant-bras, il peut se sentir les épaules se détendre. Absorbe, recrache. Tempère. Saul sourit, content qu’elle se souvienne.

Au bout de quelques minutes, la langue se délit. Et puis finalement, ça sort, ça prend forme, un mot après l’autre, une raison puis le reste. C’est très vague, il n’entend pas tout et il lui faut tendre son oreille difficile pour saisir ce qui passe. Il comprend, du moins il essaye. La maison, la mère. Qu’elle n’a pas vu depuis si longtemps, qu’elle pensait même morte, comme elle lui a dit déjà. Et le frère, que Judith pensait qu’elle saurait protéger… Une famille qui se désintègre, lentement, et elle qui n’a que les yeux pour pleurer. La chair de poule grimpe jusqu’au cou de Judith mais il n’y a rien que Saul ne puisse faire. Et maintenant qu’il sait, il ne dit rien. La main sur son épaule pend mollement dans le vide. Il ne pense pas à la conforter pour Luis. Quels mots pourraient faire revenir l’enfant ? A l’inconnu de la réponse, il confronte le silence. Sa gorge se serre, elle frotte sa joue contre son torse. Serre-moi plus fort.

Saul, j’ai fait un cauchemar. Il est minuit sur la grosse horloge du salon, l’homme sort de sa torpeur, une sieste interminable lui semble-t-il. Agate, sur la pointe des pieds, est penchée au-dessus de son visage. Quoi ? – J’ai fait un cauchemar. Est-ce que je peux avoir un câlin ? - Agate… Elle grimpe à ses côtés, et les petites mains encore moites enserrent son cou. Serre-moi plus fort.

Alors maladroitement, sa deuxième main vient rejoindre la première, et se tournant à demi, Saul obéit. Abaissant sa jambe gauche, il fait passer celles de Judith au-dessus des siennes et serre, enserre. Se donne et s’adonne. Il en a besoin lui aussi. Avec Agate, ce n’est pas pareil. Elle demande sans savoir, sans comprendre. C’est une étreinte sans signification sinon une affection directe, immédiate, temporaire, le besoin d’être cajoler dans l’instant. Avec Judith, c’est du permanent. Du vital. C’est un besoin, brusque, soudain, de se sentir réappartenir à la race humaine.

Il ne la regarde pas, il n’en a pas besoin. Ce n’est pas de la gêne, c’est une évidence. Entre ses bras, Saul peut sentir se mouvoir les muscles, les nerfs, ce qui lâche et ce qui s’accroche encore. Il la devine, sans la voir. « C’est une bonne nouvelle, pour ta mère. Ta sœur et ton père vont être contents... » Il souffle, contre son oreille. Alors pourquoi les larmes, pourquoi les cris. « …Non ? » Non. Il y a quelque chose, autre chose. Saul baisse les yeux et son regard rencontre le carmin des mains, ce qui s’est incrusté sous les ongles et dont elle n’a pas pu se débarrasser, malgré l’intention fébrile, malgré la dureté du frottement. Si ce n’est pas le sang de Judith… « Où est ce qu’elle est ? » Demande Saul. Pourquoi n’est-elle pas avec toi ? Là, sur le sol, où vont mourir les larmes, et la gêne, et sa deuxième jambe si elle continue à appuyer si fort sur sa cuisse.

« Tu m’énerves, Sykes. » Dit-il finalement, pour pas qu’elle s’habitue. Le pire, c’est que c’est vrai. Que malgré leurs deux corps emboités, il n’a qu’une envie, c’est de gueuler, des pourquoi et des trop tard, un peu sauvage et un peu rustre ; ça ne la changerait pas. Il aurait pu lui éviter beaucoup, avec des explications : les menaces, l’inspection. L’évier en sang et les joues pleines de larmes. Une étreinte maladroite.
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyVen 14 Avr - 11:22

« i am not the ennemy. »

Ce n’est pas habituel pour eux, cette position, ces mots, ces silences. Judith n’est pas le genre de jeune femme à partager ses troubles aussi aisément que ses rêves ; elle parle sans vergogne de ce qui la motive à survivre, du passé ou encore des disparus, mais les maux qui les rongent demeurent généralement siens. Une mauvaise habitude écopée d’un rôle d’aînée. Des années passées à être forte pour Elise et pour Luis. Et seulement une poignée à prétendre aller bien malgré l’enlèvement de sa petite sœur. Alors lorsque Saul répond enfin à sa demande, lorsqu’elle sent ses bras se referment autour d’elle, Jude expire lentement. Elle a encore mal pourtant, ses poumons se remplissent avec difficulté, le sentiment d’impuissance lui ravage l’estomac – mais ça lui fait du bien. Elle se noie dans son odeur, si différente du parfum métallique qui orne ses mains. Il sent bon, Saul. Et son cœur bat fort, un peu irrégulièrement. Elle entend l’air qu’il respire s’engouffrer dans les circuits de son être, avant d’en être expulsé. Judith se détend progressivement, laissant les regrets et les remords se détacher d’elle. Il n’y a plus rien à faire, pas vrai ? Le pire est passé. Le pire est à venir. Le pire est fait, voilà tout. La brunette demeure quelques secondes inerte dans l’étreinte, simplement bercée par la respiration et le rythme cardiaque du militaire, avant de démêler ses propres bras pour les enrouler autour de son torse. Serre-moi plus fort. Encore un peu.

Finalement, Saul en vient à poser la question fatidique. De façon ingénue. Il ne peut pas savoir l’horrible secret, le serment inviolable entre une mère et sa fille. Judith se mord les lèvres. Il insiste, sincèrement perdu. Pourquoi un tel débordement si au moins une partie de ses espoirs a survécu ? Pourquoi ne l’a-t-elle pas ramenée avec elle ? Jude aimerait bien éluder ça d’un geste de la main, avec un « c’est compliqué » vaseux et totalement insatisfaisant. Mais dans le fond, elle se dit qu’elle lui doit bien ça. Il est là. Il la pique un peu, probablement à mi-chemin entre la vérité et le besoin d’alléger l’atmosphère. Elle aurait pu se sentir gênée par leur proximité, sauf que c’est pas le cas. Dans cette situation, ça semble presque normal. C’est un besoin mutuel. Les larmes se sont taries, la respiration s’est apaisée. Les yeux de l’infirmière sont gonflés, douloureux. Sa gorge aussi. Ses mains aussi. Néanmoins, elle se sent mieux. Elle survivra. Il le faut bien.

Lentement, sans même avoir encore répondu aux interrogations de Saul, elle s’écarte – se laisse glisser d’une fesse sur le sol pour le libérer de son poids-plume. Son regard triste se relève vers la courbe de sa mâchoire barbue, se perd une seconde de trop sur ses lèvres et finalement, elle se relève complètement. Avec quelques difficultés quand même, parce que s’appuyer sur ses mains lui fait mal et parce qu’elle était bien, à terre.

« Debout, l’ancêtre. Tu vas finir par prendre racine. » Elle lui tend la dextre en dépit du derme à vif, lui propose de l’aide dans cet exercice complexe et une fois l’homme sur ses deux jambes, ou le plus approchant, jette un coup d’œil aux environs. Encore un peu groggy. « Tu veux quelque chose à boire ? »

Pas d’alcool, ils n’ont pas le droit. Elle n’a pas de bouteille cachée quelque part, de toute façon. Même si ça l’aurait sûrement aidée à tenir le coup. A croire que le whisky est devenu l’un des meilleurs remèdes contre la folie de leur monde. Machinalement, Judith défait sa queue-de-cheval, la refait un peu mieux, passe ses paumes écorchées sur ses bras nus. Sans la chaleur de Saul, la pièce lui paraît plus froide. Presque inhospitalière. Sans vie. Elle se racle la gorge, les yeux qui filent d’un bout à l’autre, qui se posent enfin sur lui.

« Il doit me rester du café. » Elle le dépasse pour fouiller dans les placards. Soupire. « Ah. Non. Juste du chocolat. »

Sans attendre sa confirmation, elle sort le paquet ainsi que trois tasses. Elle n’a plus de lait non plus, et ça fait longtemps qu’elle n’a pas eu droit à un véritable chocolat au lait. Les plaques chauffent la casserole, les gestes mécaniques lui apportent un semblant d’apaisement. C’est terminé, Jude. Il n’y a plus rien à faire. Elle mâchonne ses lèvres, jette un regard vers Saul.

« Elle ne viendra pas. Elle n’est pas été mordue. » Elle a juste été blessée par d’autres cinglés. A croire que les véritables monstres ne sont pas les morts-vivants, mais les vivants. « C’est juste que… » Sa voix couvre à peine l’ébullition qui commence. Elle lâche une expiration un peu forcée, bouge les épaules et s’appuie contre le meuble pour l’observer. « Elle ne veut pas. »

Qu’ils sachent. Se présenter au camp alors qu’elle se sait instable. Il y a beaucoup de non-dits dans ses aveux, elle en a conscience. Elle n’a juste pas encore la force de tout dire. Pas encore. Judith espère qu’il comprendra malgré tout, ou qu’il saura s’en satisfaire pour ce soir. Elle parle doucement, aussi, parce qu’elle ne veut pas risquer de briser sa promesse honteuse. Si Elise était finalement là, si elle descendait dans la cuisine… Si son père savait… Quelqu’un finirait bien par traverser les foutues barricades pour essayer de la retrouver. Ce n’était pas ce qu’Aspen voulait, pas tant qu’elle ne se sentait pas prête.

« Luis n’a pas été tué par des rôdeurs. »

L’homme est un loup pour l’homme. Certaines choses ne changent pas. Les bulles éclatent dans tous les sens, elle coupe l'alimentation et verse l'eau bouillante dans les trois tasses agrémentées d'une cuillère de chocolat en poudre. C'est mieux que rien.

« Agate ? » La petite tête blonde ressemble à un diable qui sort de sa boîte. « Fais attention, c’est chaud. »

Elle aurait aimé qu’on la prévienne, lorsqu’elle est sortie. Fais attention, Jude, tu risques de ne pas vraiment en revenir. Careful what you wish for.
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptySam 15 Avr - 21:36

Sykes s’écarte, se laissant glisser doucement contre le sol. Il la libère de l’étreinte, et le froid brutal de la pièce tapisse les intérieurs du pull rugueux qu’il porte. Les lèvres closes après ses dernières questions, nées d’une curiosité sans doute mal placée, il a peur soudain d’être allé trop loin. Là, dans le mouvement, Saul baisse les yeux et il croise le regard de Judith, l’espace d’un court instant. C’est un regard qui n’a pas fini de se battre. Un regard qui a repris du poil de la bête, et la bête avec, et de l’énergie et de la volonté, à travers les soupirs. Et il oublie. Les conventions, la hiérarchie, les engueulades et puis le reste. Pour le trou, qu’elle ne s’en fasse pas cela dit, il ferait en sorte de lui rappeler sa petite escapade à l’extérieur – quoi qu’il fût convaincu qu’elle n’ait pas besoin de lui pour cet exercice.

Elle lui tend la main, et malgré l’insulte qui traîne là les différences d’âge, Saul s’en saisit. Seul, il ne peut pas. Il tire fort Judith à lui pour lui faire regretter sa moquerie, et quand il a fini de jouer, s’appuie brutalement contre le rebord de l’évier. Sa main fait un gros bruit de caoutchouc malmené en s’agrippant à l’inox. Lorsqu’il est enfin debout, la gueule dépitée, Saul tempère : « Si je perds l’usage de ma deuxième jambe demain au réveil, je t’en tiendrais personnellement pour responsable. » Dit-il en massant les muscles endoloris de sa cuisse. La prothèse déplacée fait un angle bizarre, qu’il ajuste brièvement d’un tour de bras habitué. D’un grognement satisfait, Saul relève la tête pour répondre à l’invitation. Pas très loin de là, Sykes et ses yeux gonflés tapissent les placards à la recherche de la boisson. Il lui reconnait qu’un verre d’alcool à cet instant aurait sans doute aidé à faire passer la pilule mais il préféra garder le silence, ne pas remuer le couteau dans la plaie. Judith défait l’élastique qui lui enserrait les cheveux et malgré lui son regard, il suivit des yeux le mouvement ample de ses mains. Il y avait de la grâce dans la maladresse de ses gestes, alors qu’elle faisait rouler les mèches brunes au-dessus de son cou, libérant sa nuque ; et de la sauvagerie, aussi. Un certain sens du bestial, du primaire, comme un acte de satisfaction immédiat du travail accompli. Elle laisse tomber ses bras, pose le cacao près de lui. Saul détourne le regard. « Ouai. » Dit-il. « Un chocolat, c’est parfait. »

Elle fait tourner le gaz, rempli la casserole. Il ferme les yeux, et les bruits familiers de la cuisine ratissent sa mémoire, sondent les visages à la recherche de celui de sa sœur. De sa mère. Saul évacue brutalement les souvenirs en frottant son visage d’une main, l’autre posée sur le comptoir. Sa pommette légèrement ouverte picote encore les chairs. En y repensant, il fixe l’épiderme en feu de Sykes, qui n’a pas interrompu son manège. Sykes dont la langue continue à se délier. Préciser sans avouer. Amenant avec ses révélations de nouvelles questions que Vasarely tempère dans son esprit. Chaque chose en son temps. Son regard n’a pas quitté les mains dégradées de Judith, Saul se souvient du sang, de l’état de son sweat qui git sur le sol, à quelques pas d’ici. Pas mordue, mais blessée. Comment ? Par qui ? Le sort de Luis ne laisse plus place au doute. Vasarely lève ses yeux vers la jeune femme. Il s’apprête à ouvrir la bouche après un long silence, mais Judith l’en empêche en hélant Agate qui accourt depuis l’autre bout de la pièce. L’enfant se saisit du mug avec gourmandise, ses grands yeux rivés sur le cacao qui bulle doucement à la surface. Elle lance un grand sourire en direction de son oncle qui le lui rend. « On dit merci, Agate. » La petite se tourne vers Judith. « Merci. » Saul lui jeta un clin d’œil tandis qu’elle repartait en direction du salon, serrant le chocolat entre ses petits doigts.

Se décalant du comptoir, il fit quelques pas de côté pour venir se saisir de sa boisson, se brûlant légèrement les doigts contre les parois de la tasse. « Si un jour elle change d’avis, les portes lui sont grandes ouvertes. » Ajouta le conseiller, d’un ton parfaitement neutre. Les décisions du conseil étaient majoritairement régies par Randy, généralement bon juge de caractère, et contrairement à la réputation générale, pas si monstrueux que ça. Saul ne voyait pas en quoi l’arrivée du dernier membre de la famille Sykes pourrait être un problème, encore moins lorsqu’il s’agissait de réunir des parents. Et d’autant plus si cette dernière était blessée, et potentiellement, en danger de mort immédiat. Passant sous silence cette réflexion, et apercevant pour la énième fois la peau perler sur l’épiderme de Judith, Saul eut un mouvement brutal en direction du frigidaire. D’un geste rageur, il arracha des glaçons aux portes et fourra le tout dans le torchon légèrement ensanglanté. « Tiens. » Ordonna-t-il sans lui laisser franchement le choix. Et alors que Judith se saisissait de la poche de glace improvisée : « Hey. » Son ton de voix lui parut brutal, soudain, entre la colère et le besoin de dire quelque chose, n’importe quoi, pour virer cette sale gueule qu’elle se tirait. Il souffla, évacuant l’animosité. « Elle changera d’avis, kiddo. » Il balança son index, en-dessous de son menton. « Mets-ça sur tes mains avant que je t’arrange les deux joues de la même manière. » Et sur ces sympathiques paroles, Saul s’éloigna en direction d’Agate, sa tasse dans les mains.
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Judith Sykes
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyDim 16 Avr - 16:12

« i am not the ennemy. »

La brimade de Saul ne lui arrache qu’un demi-sourire, en souvenir de temps plus heureux. Les répliques qui lui viennent face à lui deviennent progressivement machinales, inconscientes, formées par l’habitude ainsi qu’un fort besoin de contestation. Un dramaqueen lâché du bout des lèvres pendant qu’elle cherche un palliatif à leurs maux. De l’alcool aurait été bien, mais c’est finalement le reste de chocolat en poudre qui l’emporte. Elle aurait peut-être pu demander au militaire s’il n’avait pas une bouteille dissimulée quelque part – Milkovich était parfois tellement imbibé qu’elle craignait qu’il ne finisse par prendre feu tout seul. Le Conseil ne prohibait pas les alcools en eux-mêmes, simplement l’état d’ébriété duquel pouvait découler de nombreux problèmes inutiles. Mais l’idée que Saul s’absente ne lui plaisait pas tellement, à Judith. Elle aurait fait avec, néanmoins elle préférait l’avoir encore un peu dans la pièce. Sa présence l’incitait à se reprendre, à faire fi de la douleur qui lui vrillait la poitrine. Pendant un moment pourtant, Jude ne regarde pas l’autre humain dans la pièce, s’attelant à des tâches quotidiennes. Sortir les tasses, mettre l’eau à bouillir, préparer la casserole et les différents ustensiles. Invariablement, cela la ramène à des souvenirs maternels, qu’elle évite soigneusement de laisser s’installer. Si elle s’abandonne au passé, elle ne sera plus en état de prendre soin d’Elise, de Gina ou encore de faire face à son père. C’est difficile un tel exercice, mais ses yeux qui la brûlent l’aident au moins à ne plus pleurer. Elle grimace, brièvement, quand sa main blessée passe au-dessus des fumeroles brûlantes. Le derme est sensible, légèrement écorché par endroits, éraflé surtout. Quelques estafilades barrent sa peau à vif, bénignes. Au moins le sang ne coule plus.

Elle tente d’expliquer à Saul les raisons de l’absence d’Aspen, à demi-mots. Puis quand les chocolats sont prêts, Jude appelle la gamine restée dans le salon pour lui en offrir une tasse. Il y a ce moment de flottement quand les petites mains d’Agae s’emparent de l’objet, quand ses yeux croisent les siens. On dit merci. Il a beau grogner, l’ours tente de lui inculquer les bonnes manières. Parce que c’est comme ça qu’il a été élevé, c’est comme ça que sa sœur aurait voulu qu’il fasse. Est-ce qu’ils survivaient tous pour honorer les morts, dans le fond ? Aspen avait préféré suivre le parcours de la vengeance pour Luis. Son père avait délaissé progressivement sa famille pour une fille disparue. Elise regrettait sa liberté, l’insouciance d’une jeunesse volée. Et elle, elle s’efforçait d’être forte pour une famille brisée. Des restes éparpillés et souillés par ce nouveau monde. Contaminés.

« Merci. »

Elle ne sait pas quand est-ce que sa mère sera satisfaite de sa croisade. Ou même guérie. Mais le fait que Saul lui promette de l’accueillir la rassure, indéniablement. Judith cherche quelque chose à rajouter  - n’importe quoi. Cependant, ses mains qui cherchent à agripper pleinement la tasse chaude lui tirent un rictus de douleur. Dans le genre nerveux, instinctif. Et presque dans la même seconde, le comportement du militaire devient subitement plus brutal. Chassez le naturel et il revient au galop. Il n’y a pas de douceur, pas de tendresse dans sa façon de se mouvoir ou de lui fourrer le torchon dans les mains. Elle sent le froid sur ses écorchures, qui lui tire un frisson agréable et souffreteux. C’est un peu ça, sa vie maintenant. Un tour de funambule entre deux extrêmes. La jeune femme l’observe dans son manège de bête sauvage. Le handicap de ce gros rustre n’est pas dans sa jambe amputée, mais dans les sentiments qu’il peine à exprimer.

« Jerk, » qu’elle lui lance quand il fait planer la menace d’équilibrer les rougeurs. Elle lève les yeux au ciel devant sa mine de dur à cuire, le suit quand il s’éloigne en essayant de jongler entre sa tasse et les glaçons enveloppés d’un chiffon. Le mieux serait d’enduire les blessures d’une crème grasse, mais elle n’en a pas ici. Ce sera pour demain, encore que piocher dans les réserves du camp pour des blessures aussi superficielles ne lui paraît pas essentiel. La silhouette de la jeune femme n’a pas de mal à dépasser celle de Saul. « T’es tellement charmant que par moments, je me demande vraiment comment ça se fait que tu sois encore célibataire, tu sais ? »

Elle a d’autres répliques qui lui mordent les lèvres, des phrases qui se forment dans son esprit. L’exercice est devenu régulier entre eux, entrecoupés de gueulantes de l’un et de soupirs exaspérés de l’autre. Mais Judith ne parle pas davantage ce soir, elle s’accorde du répit. Pour guérir un peu. Pendant que Saul rejoint sa nièce, elle ramasse le sweat taché abandonné sur le sol, le pose sur la table du salon avec sa tasse même pas entamée – elle n’aime pas se brûler – pour ensuite ramener le sac à dos. Après les révélations d’Aspen, elle a dû se faire violence pour faire son tour de la maison. Il ne restait plus grand-chose d’utilisable, rien que du sentimental et du superflu. Des photos surtout, piqués à droite et à gauche. Celle de Luis trône en premier sur la petite pile, le jour de son troisième anniversaire – il a l’air émerveillé devant son gâteau. Judith les range au fond du sac, cherche encore un peu. Une boîte pas plus large que la main, haute de presque quinze centimètres et remplie à ras-bord de perles multicolores attire son regard. Elle l’extirpe un peu difficilement du foutoir, grimaçant inconsciemment quand le tissu rêche se frotte à ses mains, fouille pour trouver la trousse de couture avec ses fils et ses aiguilles. Celle de sa mère. Celle qu’elle a utilisé lorsqu’elle a dû… Jude serre les poings et, lorsque la douleur l’inonde, s’en sert pour évacuer les souvenirs parasitaires. Pas ce soir. Cela ne sert plus à rien.

« Hey, Agate, regarde ce que j’ai ramené… » Elle se prend pour la Mère Noël, elle évite même de regarder Saul parce que ça pourrait ruiner l’effet qu’elle tente de se donner. Il aurait dans les yeux ce message tout simple, celui qui aurait rappelé à la gamine qu’elle avait acquis ça lors d’une sortie illégale. « Est-ce que c’est… » Elle a une moustache de chocolat au-dessus des lèvres, mais elle s’en fiche l’enfant. Elle n’a plus rien qui compte que cette boîte multicolore. « Tu pourras me faire un bracelet, un jour, qu’est-ce que t’en dis ? » Et pendant qu’elle lui tend le présent, Judith jette rapidement un coup d’œil vers la figure masculine. « Ou quelque chose pour ton oncle, j’suis sûre que sa prothèse aura l’air plus jolie avec quelques bricoles. »

Oh, les vilaines idées. Cela lui tire même un sourire plus convaincant et malicieux, à Jude. Elle se retire de quelques pas pour retourner chercher sa tasse laissée près du sac, ainsi que le torchon qu’elle passe un peu sur ses mains abîmées. La fraîcheur l’apaise. Elle aurait aimé avoir quelque chose pour les problèmes de Saul, mais elle admet ne pas y avoir songé sur l’instant. Même si elle l’avait fait, elle n’a rien rencontré qui puisse soulager sa jambe amputée ou l’aider à entretenir sa prothèse. Elle n’a que des babioles, Judith. A croire que même ses recherches ont cet arrière-goût d’inutile. Pendant un moment, la jeune femme demeure près de la table, portant de temps à autres la tasse à ses lèvres. Elle observe la façon dont l’oncle et la mioche interagissent. Le froncement dans les sourcils de Saul, les grands yeux d’Agate. Il ne faut finalement pas longtemps pour que l’enfant ait terminé sa propre boisson, la gourmandise prenant le pas sur la sûreté. Judith revient auprès d’eux juste avant que les menottes se réapproprient la boîte de perles, la levant à hauteur de ses yeux.

« On verra ça demain, tu devrais aller te reposer un peu. » La suggestion ne plaît pas, elle le voit bien dans les prunelles indignées. « Je ne pense pas que Saul serait contre le fait que tu dormes ici. » Elle sait comment l’amadouer, mine de rien. Quelque chose change dans le visage d’Agate. Ça doit faire des heures qu’elle est réveillée, avec le stress de cette journée et l’humeur exécrable de Saul. Elle est fatiguée, mine de rien. « Tu m’aideras à faire des bracelets, demain ? » « Promis. »

Elle effleure ses cheveux d’un baiser fugace, libérant ensuite l’enfant pour qu’elle souhaite bonne nuit à son oncle. Judith a pris la décision de l’héberger, au moins pour la nuit, sans doute pour se faire pardonner auprès de Saul pour son absence. Elle aurait dû être là pour Agate aujourd’hui. Pour Elise. Pour Gina. La petite tête blonde tressaute dans les escaliers, se dirigeant probablement directement dans la chambre sans passer par la case salle de bain. Mais Jude, elle laisse passer pour ce soir. Ce soir, c’est un peu d’accalmie pour tout le monde. Et lorsqu’elle perd de vue la fillette, elle se laisse tomber sur le canapé avec un soupir – les glaçons fondent rapidement sur ses mains, la tasse de chocolat touche à sa fin. Toute la tension retombe, finalement. Tout a une fin, les bonnes choses comme les mauvaises. Elle lâche le torchon sur ses cuisses et tapote de sa main libre l’espace libre à côté d’elle.

« Arrête de grogner et viens. » L’infirmière prend des tons autoritaires, presque machinalement. Saul n’est pas le genre de patient qu’elle rêverait d’avoir. Il agit comme tous les hommes. Il n’aime pas montrer ses faiblesses, quelles qu’elles soient. « Rappelle-moi de féliciter celui qui t’as eu. Il a une sacrée droite. »

Dès qu'il daigne s'approcher, grinçant à qui mieux-mieux et pestant dans sa barbe avant de s'asseoir à son tour, elle lui colle le torchon humide sur l’œuf qui orne sa pommette. Un peu trop vite, sûrement. Mais des milliers de fois plus tendre que lui. Elle veut pas le blesser. Elle n'a jamais voulu ça.
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyLun 17 Avr - 4:11

L’insulte lui arrache un sourire, une arrogance, à peine, qu’elle ignorera sans doute par habitude. Saul porte la tasse chaude à ses lèvres et les trempe dans le chocolat, s’offre un soupir qui vient détendre ses épaules et le reste. De la boisson ou des piques de Judith, il n’est pas certain de savoir ce qui lui remonte le plus le moral. Sykes a le chic pour leur rappeler que le reste suit son cours, et qu’ils ont, tous les deux, une étiquette à tenir. Et c’est une sensation, sans doute, d’un retour à la normale après la journée irréelle qu’ils avaient tous les deux passés. Elle plus que lui. Il la dévisage alors qu’elle le dépasse d’une boutade, et l’ancien lieutenant ne peut se retenir un ha! hautain. « Je me demandais aussi combien de temps ça allait te prendre pour me rappeler ma situation maritale. Si ça t’inquiète tant que ça, t’as qu’à m’épouser. » Il éclata d’un petit rire ironique en pensant à sa pauvre mère qui se retournerait dans sa tombe en entendant ça. La pensée fait naître une moue plus nostalgique alors que Saul s’adosse au canapé en cuir du salon, un œil sur Agate, l’autre sur Judith qui s’affaire en coulisse. Machinalement, sa main se posa sur l’arme à sa ceinture, discrètement rangée sur le côté. Il l’observe fouiller son sac plein de terre et ses pensées dévient. Vers ce retour à la normal pas si normal que ça. Ce ne sont que des va et vient de mots qui leur procurent un réconfort précaire, comme la veilleuse d’une chambre qui ne fera jamais fuir les monstres qui se terrent sous le lit. Une mécanique huilée, qu’ils ont adopté pour apaiser leurs cœurs, en attendant un peu mieux. Mais jusqu’à quand. Les yeux de Judith sont encore gonflés, et elle porte les traces d’un extérieur qu’aucune vanne, qu’aucune boutade arrangée d’un rire factieux ne pourra effacer. Ne font-ils pas face, impétueux, à leur propre impuissance ? Gamins grimaçant, encore en sécurité derrière les langues tirées et les parades agiles. Mais jusqu’à quand.

Du fond de son sac, Sykes tire des trouvailles de sa récente expédition, et tandis qu’elle expose ses découvertes à une Agate stupéfaite, Saul ne peut s’empêcher de lancer un regard réprobateur à la babysitteur. Il s’était fait une mission d’enseigner tôt à Agate le respect de leurs règles, afin qu’en grandissant celles-ci ne lui semblent ni étrangère ni effrayante ni perfide. Afin que sa survie ne devienne pas une inquiétude de plus à la liste de celles que Saul avait déjà dressé pour sa nièce. Deux années après le début de l’épidémie, il se sentait plus confident en la survie de l’enfant, en son avenir, et au sien près d’elle. En pensant à Agate, Saul se sentait exister éternellement. Mais en voyant Judith lui offrir ce présent venu de l’inconnu, ce présent magnifique qu’elle n’aurait sans doute jamais pensé posséder dans un monde tel que le sien, il sent grandir la méfiance. La boite de perle brillait, vicieusement, sur la petite table du salon. Un cadeau comme elle en posséderait peu, et qui arrachait déjà à l’enfant une admiration immédiate.

Cette dernière ignora la défiance sur le visage de son oncle en terminant le plus vite possible sa tasse de chocolat, obnubilée par les motifs sur l’étui en métal. Quelque chose pour ton oncle. Saul jaugea Judith du regard, tâchant de cerner ses intentions. Agate éclata de rire et l’homme ne pipa mot. Il n’avait pas mérité de s’interposer aujourd’hui, et en entendant l’hilarité et la joie dans la voix de sa nièce, le pétillement et la ferveur avec laquelle elle serrait contre elle les perles, il se sentit pris d’une impuissance véritable, d’un cessez-le-feu complet avec rendu des armes, et se laissant glisser sur l’accoudoir du canapé, Saul se pencha légèrement vers l’enfant. « Montre-moi. » Il fit rouler la petite boite entre ses grosses mains. « Elle est très jolie. Il faudra en prendre soin. » Évitant soigneusement de croiser le regard sans doute triomphant de Sykes, Saul glissa l’étui sur la petite table, près de l’enfant, alors que Judith annonçait l’heure fatale du coucher. A sa grande surprise, la petite ne protesta pas autant qu’elle en avait l’habitude. La proposition d’une party pyjama dans la maison devait sans doute y être pour beaucoup. Saul ne se sentit pas l’envie de lui refuser pour les mêmes raisons que les perles. La promesse d’un atelier bracelet le lendemain suffit à la faire se lever, et répondant à l’embrassade de Judith, Agate vint ensuite déposer un baiser sur la joue de son oncle. « Bonne nuit, monkey. » La gamine s’éloigna à petits pas feutrées vers les escaliers, dans une maison qu’elle devait connaître sur le bout des doigts.

Alors que leurs regards suivent la montée des marches de l’enfant, Saul entend l’autre qui recommencent un début d’hostilité, accompagné d’une invitation forcée qu’il accepte d’un grognement. Le militaire se laissa glisser de l’accoudoir au coussin, près de Sykes qui commente sa pommette joliment entamée. « Je te donnerai son nom quand je l’aurai. Tu pourras aller le remercier en personne. » S’il ne finit pas la semaine au trou, se garda bien de préciser Saul. Sa fierté et son autorité n’étaient pas les deux seuls éléments en jeu dans cette histoire. Ils allaient devoir désigner des responsables, une fois de plus, et sans doute pas la dernière. Un sentiment terrifiant l’envahit à cette pensée. Se faire juge de tous et lever des flingues vers des crânes dénudés. Était-ce donc là son avenir ?

Elle lui applique sans ménagement le torchon humide sur la joue et le geste suffit à le faire sortir de ses pensées. « C’est ça qu’ils vous apprennent à l’infirmerie ? Je reconnais bien la douceur légendaire de Primrose… » Railla Saul sans pour autant la chasser. L’effet du froid calmait la brûlure. « C’est rien, ça dégonflera pendant la nuit. » Il en avait vu des pires, et à cette pensée, une moue ironique alla se percher sur ses lèvres. Un moteur perdu dans l’Océan Pacifique par exemple. Plus bas, sa jambe lui balançait quelques signaux désespérés, et les nombreuses heures passées prisonnières de la prothèse avaient commencé à entamer la peau meurtrie. Sous le tissu du pantalon, il pouvait sentir la chair rougir et former des cloques, qui prendraient sans doute plusieurs semaines à guérir. Saul n’avait qu’une envie, parfois, souvent, celle d’arracher ce faux membre qui lui faisait défaut et de le jeter au loin, fort, si fort qu’il se briserait. Plus utile en morceaux que dans la continuité de son corps.

Après avoir fait errer longuement son regard contre celui d’une Judith concentrée à la tâche, ses yeux retombèrent sur la petite boite en métal qui brillait sur la table basse. S’humectant les lèvres, Saul dit, tout bas. « Agate t’adore, tu sais. C’est une chouette gosse. Elle est aussi bonne juge que caractère que sa mère. » Il avait déjà parlé de sa sœur à Judith. A voix basse, comme il le faisait à cet instant. Doucement, tout doucement, comme pour ne pas réveiller les morts. Après un autre silence, il ajoute, sur un ton presque banal, d’une grande fatalité. Sans pathétisme, juste, un fait annoncé : « Elle va grandir et elle va me détester. » Pour ça. Pour tout ça. Ne pas avoir sauvé sa mère, sa famille et le reste. Elle entendra des choses, à propos d’une exécution et d’un Pratt joli que tout le monde aimait en ville. Elle apprendra à me connaître. Et puis elle me détestera. « Tu prendras soin d’elle quand ce sera le cas, pas vrai ? Ne la laisse pas à Randy, il ne saura pas quoi en faire. » Saul ne sait pas pourquoi il parle comme ça. Peut-être que c’est la fatigue, la journée, peut-être qu’il prenait conscience qu’il n’était pas fait pour être parent. Qu’après avoir traîné sa nièce avec lui pendant des heures, il avait compris qu’il n’y avait rien qu’il puisse faire, vraiment, pour la protéger. Du reste, mais surtout de lui. Sinon, inexorablement, l’amener chez les Sykes. Sinon attendre que Judith panse ses plaies, sèche ses larmes. La délivre de cet oncle terrifiant qu’elle viendrait à mépriser.

Brusquement, comme pour ne pas oublier, il ajoute : « Tu pourras encore la garder demain ? Avec ce qui s’est passé aujourd’hui, j’ai… » Saul s’interrompt un moment. Cherche ses mots. « J’ai besoin de temps. » Pour tout régler. Make things right. Il releva son regard vers elle, qui était si près, et la question qui lui brûle les lèvres finalement s’échappe. « Pourquoi t’es sortie ce matin ? »  La petite lampe du salon faisait danser les ombres sur le visage de Jude. Des cauchemars qu’il aimerait chasser en rallumant la lumière.

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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyMar 18 Avr - 3:27

« i am not the ennemy. »

Le souffle est expulsé de ses poumons par un rictus moqueur, elle lève encore les yeux au plafond avec cette moue désabusée. Sans les marques sur ses mains, ses paupières gonflées et rougies, Judith pourrait presque donner le change. Presque, c’est le mot le plus important. Au moins Saul se prend-il également au jeu, récitant sa ligne avec la régularité d’un métronome. Elle frotte son menton sur son épaule, les mains prises, et lui répond à son tour avant de s’éloigner vers son sac :

« Ne me tente pas, toutes les petites filles rêvent d’un prince pirate. »

Le trésor extirpé des bibelots, Agate s’imagine déjà croulant sur les bracelets de perles chatoyantes. Ce n’est pas grand-chose et c’est à la fois beaucoup. Cette boîte lui appartenait autrefois, elle l’a délaissée dans une vieille boîte à chaussure en grandissant et quelques fois, il lui arrivait de retomber dessus lors de grands rangements. Jude ne sait pas ce qui l’a toujours empêchée de s’en débarrasser d’une quelconque façon. Probablement une nostalgie inavouée d’une période plus douce. Des années tendres, partagées avec Elise, où leur famille était soudée. Après les consignes de sa mère, lorsqu’elle a cherché des objets à rapporter au campement, elle a fourré cette boîte sans hésiter une seule seconde. Avec une unique image à l’esprit : les grands yeux émerveillés d’Agate, les petites mains de Gina qui voudrait sûrement piocher dans le tas multicolore. Un peu d’innocence là où il n’y en avait plus. C’est sa contribution, au final. Plus que ses connaissances en médecine, Judith veut laisser de l’espoir dans son sillage. Des graines de pensées, des effluves de souvenirs, des lueurs encourageantes. Des milliers de lucioles porteuses d’un seul message. Tout finira par s’arranger, un jour ou l’autre. C’est naïf. C’est con. Mais ça l’aide à tenir un peu plus loin sur le chemin. Encore un peu. Comme l’étreinte de Saul et sa chaleur. Comme les oublis grapillés quelques soirs, comme les discussions avec Emma ou les débats avec Kara. Les entraînements avec Reggie, les disputes avec Elise. Les baisers qu’on lui donne et ceux qu’elle offre gracieusement, sans rien demander en retour – sans rien vouloir, jamais.

Les derniers pas d’Agate s’évanouissent dans la nuit et Judith incite le militaire à la rejoindre. Le force avec ses mots autoritaires, ses traits tirés et son regard encore vif malgré tout. Elle ne lui laisse pas le choix, vraiment, alors Saul vient s’écraser à côté d’elle en lui promettant de lui livrer le nom de l’audacieux boxeur dès qu’il l’apprendra. D’un mouvement machinal, elle se débarrasse de ses chaussures boueuses et glisse ses mollets sous elle. Judith a d’autres questions qui lui viennent : comment ça s’est passé ? comment est-ce que tu t’en es sorti ? est-ce que tu vas le tuer ou l’exiler, celui-là ? Mais elle les garde pour elle. Il y a assez d’ombres ce soir. Assez de ténèbres dans leur petit monde. A la mention de la médecin, Jude se mord les lèvres pour réprimer un sourire moqueur, baisse la voix en se perchant sur ses genoux pour examiner la blessure.

« Estime-toi heureux, je n’ai encore rien coupé, moi. »

Elle hoche ensuite la tête devant sa remarque, reconnaissant le côté bénin du coup. A première vue, rien ne semble cassé. Sa pommette est simplement contusionnée. Avec un soupir ronchonné du bout des lèvres, elle change de position pour mieux inspecter son travail. Pas que ça soit vital, mais quand même. Peut-être qu’elle se sent juste coupable, dans le fond, d’avoir été absente. Peut-être qu’elle cherche un semblant de réconfort dans cette tâche familière. Prendre soin des autres. Guérir. C’est qu’une gamine pour beaucoup de gens ici, que la gosse du shérif Sykes et pourtant, elle peut être bien plus si on lui laisse sa chance. Si elle se laisse une chance. D’un mouvement souple, la jeune femme passe de l’autre côté de Saul, se calant contre l’accoudoir qu’il vient de délaisser pour avoir une meilleure vue sur lui. Elle le surplombe d’à peine quelques centimètres, perchée là-haut, tapotant régulièrement l’œuf violacé. Sans même le vouloir, elle pointe ses pieds sous la cuisse valide du grincheux, un peu pour l’emmerder, un peu pour s’approprier sa chaleur. Elle a sûrement un problème avec ça, Jude. Toujours trop froid. Toujours trop seule.

« Évidemment. Il n’y a que toi pour trouver plus sympa de me gueuler dessus plutôt que juste m’aimer. Tout le monde m’aime. » Sauf Elise, ces derniers temps, qu’elle se retient d’ajouter. Elle sort même un sourire plein de morgue factice, pour appuyer ses dires et masquer ses pensées douteuses. Quelque chose change dans leur alchimie – évolue. Ils se font confiance, ou tout du moins ils tentent. Les souvenirs murmurés au creux de la nuit sont les plus importants. Les rêves fragiles et les fatalités énoncées dans un souffle. « Elle va grandir et elle va me détester. » Elle pince les lèvres, ne répond pas tout de suite. La mention de Randy la tire de son mutisme volontaire par une boutade. « Au moins, il lui apprendra à marcher correctement sur ses deux jambes. »

La suite prend son temps pour arriver. Judith persiste à vouloir panser cette plaie visible, consciente des autres qui mutilent l’âme du militaire. Elle cherche les bons mots. Les mots qui sauvent, les mots qui ramènent les morts à la vie. Il n’y en a pas. Ou alors, il y en a trop eu et c’est ce qui a causé la fin du monde. A trop rester dans le passé, à trop s’accrocher à des cadavres, peut-être que l’Humanité avait causé sa propre perte. Elle se demande un court moment ce que Rajat penserait de ça, puis Saul reprend et toute son attention lui revient. Jude acquiesce, laisse la dernière question en suspens. Pourquoi t’es sortie ce matin ? Elle s’appuie de sa main libre contre lui, paume sur son torse là où le cœur bat fort. Vivant. Présent. Se redresse légèrement, délestant son travail inutile.

« Elle va te détester Saul, et tu sais pourquoi ? » Les prunelles agitées de Judith se fixent dans les siennes, le laissant mesurer la portée de ses paroles. « Parce qu’elle est en vie. Parce qu’elle aura survécu. » Elle ne lui dira pas qu’elle cautionne tous les actes du Conseil, parce que ça serait lui mentir. Mais elle sait qu’il fait de son mieux, qu’il n’est pas mauvais. Il y a juste trop de gris maintenant pour discerner le noir du blanc. « Une adolescente, c’est comme Internet sans filtres. Tu tombes sur beaucoup de conneries, un peu de porno, des trucs bizarres et parfois, un article intéressant. Une photo merveilleuse. Une histoire qui te redonnera un peu foi en l’Homme. » Elle remue une épaule, l’autre, comme un haussement bancal. « Elle aura des mots qui dépasseront sa pensée. Souvent. Parce qu’elle va tenir de toi et que tu sais jamais quand il faut arrêter de gueuler. But at the end of the day… » Elle se tient un peu plus droite sur l’accoudoir, pose ses mains sur ses cuisses en observant Saul. Le torchon est bien humide maintenant, ces foutus glaçons fondent trop vite. « Tu restes son oncle. Sa seule famille. C’est elle qui t’empêchera d’aller trop loin. Parce que le jour où tu ne pourras plus la regarder en face, tu sauras que c’était le geste de trop. » Elle parle doucement et lentement, avec cette pointe de sarcasme agrémenté de malice. Elle essaie, Jude, sans trop savoir comment lui apporter le réconfort dont il a besoin. « C’est ton Jiminy Cricket, en plus emmerdant. » Et elle embraye, sans se soucier de savoir si les mots ont eu le temps d’atteindre Saul : « Tu devrais enlever ta prothèse, ça doit te faire un mal de chien. »

Elle lève le torchon mouillé devant lui, rompant leur contact visuel pour lui faire miroiter la sensation de fraîcheur sur ses chairs enflées et contusionnées. Ce n’est qu’une idée lancée à la va-vite, qu’elle pressent qu’il balaiera d’un grognement. Il n’aime pas ça, qu’on lui rappelle son état de cette façon. Mais dans le fond, ils demeurent tous des humains. Faibles, faillibles, mortels. Et c’est ça qui compte le plus aux yeux de Judith. C’est ça qui a toujours compté.
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyJeu 20 Avr - 1:13

Lorsque le prince pirate assomme de sa carcasse grinçante les gongs du divan, ce n’est pas pour étaler devant elle les inconnus de quelques cartes au trésor ; sinon s’enfoncer plus profondément dans les coussins à la recherche d’un confort que la journée avait manqué de lui offrir. Il n’a rien d’un grand romantique, Saul, alors ce commentaire comme les autres, il les réprime d’un sourire narquois, un ricanement aigri parfois, se grattant de temps à autre le plumeau qui lui sert de barbe. Son ton est las alors qu’il énonce les tristes vérités de ses échecs paternels, pourtant aux échos de son pathétisme fuyant, Judith oppose sa verve. Cet humour décapant qui ne manque pas de lui arracher un rire ou deux. Tout le monde m’aime. Elle est passée par-dessus la carcasse maintenant, et du haut de son perchoir, lui tapote de temps à autres le dessous de l’œil. Même s’il la jauge d’un rictus moqueur, Vasarely aimerait que ce soit vrai. Que tout le monde l’aime, Jude. Que même son père la regarde, que sa mère se sente d’humeur famille, que sa sœur retrouve le goût du quelque chose, moins que de la connerie. Y’a Gina mais bon Gina… Elle aime jusqu’à Saul, ça ne compte pas. Pas que sa réputation l’intéresse plus que ça, mais peut-être que cette perspective d’amour arrêtera de faire planer le temporaire sur son visage concentré, qui fixe la blessure minimale de sa pommette. Peut-être même qu’après ça, elle arrêtera de lui casser les couilles. Elle ne sait plus quoi faire d’elle-même, y’a de ça. Elle a planté ses pieds sous sa cuisse comme pour se rassurer, mais ce n’est pas les mensonges balancés comme des vannes qui vont changer grand-chose.

Soudain, Saul détourne le regard et décide qu’il s’en fout. Qu’il n’était pas là pour ça et que tout a trop dérapé, depuis une heure, ou deux, il ne sait plus. Dehors, il fait noir. C’est calme. Le silence s’allonge et dans la fenêtre, il peut apercevoir leurs reflets et la lumière de la petite lampe jouer contre leurs visages blancs. Un tapotement, puis un autre, il retrouve le contact de ses prunelles alors qu’elle appuie contre le haut de son torse et que la main retombe de son travail inutile. Enfin. Une adolescente, c’est comme Internet sans filtres. Malgré lui, son rire éclate et trouve une réponse dans le sourire malicieux qu’elle lui glisse. C’était pas ça qu’il attendait de la part d’une jeunette de vingt ans, mais en la regardant hocher une épaule puis l’autre, il se dit que ça fera l’affaire. La pensée d’Agate ado lui file un frisson qui vient remonter le long de son échine ; c’est comme un futur dans lequel il s’était attendu à n’avoir aucune prise. Et maintenant, le voilà. Aux portes de l’acné, de la musique trop forte, des veillées nocturnes et des garçons mal fringués… Il lui affiche sa grimace la plus démotivée, avant que la réflexion sur son manque de sang-froid ne lui fasse lever un doigt inquisiteur. « Dommage, tu commençais bien. » Jude se détache, finalement, son corps reprends de la droiture sur l’accoudoir. Et c’est peut-être ça aussi, Agate. De la droiture d’esprit. Un test ultime, à la fin de la journée. C’est elle qui t’empêchera d’aller trop loin. Elle ne sait sans doute pas, Judith, qu’il est déjà trop tard. Que si de l’enfant il ne sait que faire, c’est parce que le poids des choix a bien trop pesé sur ses pensées le restant du temps, et qu’en apercevant ce visage calme, magnifique, ces deux grosses joues et ses lèvres rouges, Saul se souvient. Se rappelle. Ce qu’il a fait et ce qu’il n’a pas fait. Tout ce qu’il cherche à oublier.

Il va pour ouvrir la bouche, pour lui dire, finalement. S’il en avait eu l’occasion, sa voix n’aurait été que rancœur. Que déception. Une pointe d’amertume et un grand bol de colère, pour ne pas déroger à la règle. Il y aurait eu des jurons et beaucoup de mâchoire grinçante. Et puis non. A la place, une question, et avec elle, la stupéfaction. Interdit, il la fixe et il a de la peine à croire ce qu’elle vient de lui demander.

Une année durant, son corps n’avait pas été le sien. Une année durant, alors qu’il avait ouvert les yeux, allongé sur un lit, sur un divan ou une table d’examen, tout ce qu’il avait aperçu c’était un début de bras et ces petites mains fébriles à l’assaut de ses plaies. A l’assaut des mouvements aléatoires de ses nerfs, de ses muscles fondant contre les os, et des douleurs, fréquentes, assidues et toujours présentes, dans un coin de sa carcasse grimaçante. Des hommes et des femmes masqués, aux regards placides, aux mots souffreteux toujours doux, jamais énoncés dans la panique : ça va aller Saul, respire, ça va aller. Tout seul, doucement, là, avec l’odeur de l’anesthésie. Des mots qui rassurent, qui apaisent. Et combien de mensonges. Combien d’inepties derrière les sourires sages d’une profession endimanchée comme des anges. Saul relève la tête, et elle le fixe de sa mince hauteur, perchée depuis l’accoudoir, et ça lui remonte comme la bile à l’instant. Finalement Judith, elle est particulière mais elle n’est pas spéciale. Ce n’est pas Primrose, ce n’est pas Randy. Elle ne l’a pas connu crachant du sang, elle ne l’a jamais entendu hurlant à la mort, elle ne l’a jamais vu se traîner sur le sol pour échapper à des fantômes imaginaires, que seule la fièvre savait créer, elle n’a jamais eu à le ramasser; infirme, difforme. Fini. A le nettoyer, à le border et à recommencer le lendemain. Elle ne sait pas tout ce qu’il a maudit, et ce qu’il leur a fait baver, à Primrose, à Lee, à ses parents, à sa sœur. A Agate aussi, qui devait l’entendre et le maudire, cet oncle inutile cloitré dans sa chambre. Ce machin grincheux, fatigué, en guerre avec le monde entier et surtout lui-même. A maudire une malchance et un moteur d’avion surchauffé. Elle ne l’a jamais connu acerbe, idiot, abject; vraiment abject. Et surtout, elle ne l’a jamais vu sur ses deux jambes. Non, Judith n’est pas spéciale. Pire : elle ne sait pas. Et elle s’en fout.

Il la regarde et c’est ce qu’il voit, alors qu’elle lève le torchon humide, le tentant à hauteur de son visage, dissimulant sa filouterie et ses pommettes creusées par son sourire. Une fille qui le méprise, qui le berce, qui l’asticote, comme personne d’autre ne le fait, parce que personne n’ose. Randy a trop d’affection et Primrose… reste Primrose, avec ses regards doucereux comme ceux d’une sœur et sa droiture toute militaire. Mais Judith, non. Une jambe ou deux, pour elle, c’est la même chose. Qu’il hurle ou qu’il la caresse, c’est du vent, du néant pour elle. Y’a rien qui compte pour Judith, un peu d’amour peut-être, des boîtes de perles et quelques souvenirs pour se faire sourire quand ses paumes viennent parfois s’écorcher dans des éviers sales.

D’une main libre, il abaisse le torchon et sans s’arrêter, il saisit la mâchoire de la fille jusqu’aux racines des cheveux, à la nuque ravissante. Dans une respiration décidée, il l’embrasse et le goût du chocolat a le temps de s’imprimer contre ses lèvres. Elle pue un peu, Judith, d’avoir galopé dans les ronces toute la journée. Et derrière le sucre, ses lèvres sont salées, sèches, rêches. Saul ne force pas, sa main contre le cou n’accroche rien, sinon un frisson. Elle en fera ce qu’elle veut. Il a passé l’âge de lui prouver quoi que ce soit.

Lorsqu’il se détache et la laisse, son poing se referme sur le torchon, et il tire pour s’en saisir. Le tissu flanche dans sa main, sans résistance. Saul se recale dans le dossier du canapé, comme si de rien n’était, et dans un grognement rauque, entreprend de lever les pans de son pantalon. Dans un déclic approximatif, sa prothèse glisse légèrement le long de sa cuisse et il arrache le morceau de plastique à sa peau, le faisant passer par le bas du jean. Ce n’est pas pratique, mais il n’a pas très envie de se défringuer devant la gosse. « Ça risque de saigner. » Prévient-il, qu’elle ne s’étonne pas de retrouver son tapis légèrement entamé. « J’ai des cloques partout à cause des frottements. C’est pas trop conçu pour passer sa journée dehors. » Il parvient à extraire la prothèse du vêtement, et la pose délicatement près de lui. Ses mains s’affairent alors à remonter les pans du pantalon, l’enroulant sur lui-même jusqu’au moignon. Ce dernier saigne, mais pas autant que ce à quoi il s’attendait. Saul a un grognement surpris, des mots pour lui-même alors qu’il entoure rapidement le morceau de chair tordu dans le torchon humide. Un soupir de satisfaction s’échappe de ses lèvres. Il vient s’enfoncer à nouveau dans le fauteuil. Ferme les yeux, et passe un bras sur son visage. « Alors si dans tes pérégrinations autorisées » insiste-t-il consciencieusement « …tu me trouves de quoi remplacer ma jambe de bois… » Il laisse la phrase en suspends, soulève légèrement son coude pour l’apercevoir, et au sérieux de son visage, il oppose le narquois de ses mots, plissant le nez. « … je t’offrirai des trésors en toc, puisque ça a l’air d’être ton truc. »




Dernière édition par Saul Vasarely le Mar 25 Avr - 1:31, édité 1 fois
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Judith Sykes
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyJeu 20 Avr - 5:12

« i am not the ennemy. »

Jude a toujours été un peu trop indépendante, pas suffisamment amoureuse pour s’enchaîner le cœur, définitivement loyale malgré la sauvagerie qui colorait son âme. Un paradoxe, un électron libre qui revenait perpétuellement à son point de départ. Sa famille, c’est tout ce qui compte, qu’importe la période, qu’importe l’âge qu’elle a. De différentes façons. Avec l’amour vache de l’adolescence, les monts et merveilles de l’enfance, la naïveté des enfants, le pragmatisme de l’âge adulte. Alors quand Saul est persuadé que sa nièce finira par le détester, elle éprouve le besoin de le rassurer à ce propos. Elle-même ne déteste pas son père ; ils ont juste oublié comment se comprendre, tous les deux. Perdu le manuel en cours de route. Sûrement au même endroit où vont mourir les rêves de cette gamine qui voulait être une princesse. Il y a d’ailleurs une photo défraîchie de cette enfant au sourire de travers, dans le sac posé sur la table derrière eux. Mais c’est si loin qu’elle n’y pense pas pour le moment. Ses prunelles sont rivées sur l’hématome fleurissant, qui bourgeonne en nuances de bleu et de mauve, de noir et de jaune par endroits. C’est un vrai festival sur la pommette du militaire. Et ça l’occupe, pendant qu’elle l’écoute murmurer ses craintes. Prophétiser l’avenir. Qui sait vraiment de quoi demain sera fait, hein ? A part les survivants, personne ne pourra attester de qui arrivera. Pour le moment, Agate est en bonne voie, uniquement grâce à la détermination de Saul. C’est ce qu’il faut retenir, plutôt que de se focaliser sur tout ce qui fout le camp. Leur civilisation, leurs lois, leurs règles de bienséance. Ce qui est bien, ce qui ne l’est pas. Elle n’oublie pas, Judith, les fines lignes entre le blanc et le noir, et c’est probablement ce qui la pousse à relever la tête après les coups qu’elle prend. Parce que si on se souvient de la clarté du blanc, on garde l’espoir en tête. Toujours un peu, malgré les ténèbres.

Elle tente d’amadouer la bête qui renâcle, persuadée de devoir essuyer une ruade et c’est subitement tout le contraire qui se passe. Les doigts abîmés glissent sur la peau douce de sa mâchoire, tombent dans son cou, se posent dans sa nuque entre les quelques cheveux bruns échappés de la queue-de-cheval. Judith ne bouge pas quand il se redresse, elle ne frémit pas lorsque ses lèvres effleurent les siennes. Elle expire à peine, ferme les yeux quelques secondes après qu’il ait clos les siens. La jeune femme sent tout : la pression de sa bouche, les poils de sa barbe en foutoir qui la piquent, son cœur qui bat un peu plus vite sous sa paume, la façon dont il la tient sans la retenir. Plus que le reste, c’est la manière dont l’univers se floute qui la charme. Autour d’elle. Autour d’eux. L’espace d’une minute, il n’y a plus rien qui importe. Puis Saul s’éloigne, la privant encore une fois de sa chaleur et de l’oubli, tout aussi naturellement que s’il venait de remettre une mèche brune derrière son oreille. Il n’y a pas de regards qui s’accrochent inutilement, pas de suppliques informulées qui brûlent ses lèvres. Simplement la saveur du chocolat, la rugosité de ses phalanges distales qui s’attarde encore sur son derme. Contrairement à ce qu’elle pense, il soupire en acceptant de se débarrasser de son fardeau. Elle l’observe, le détaille, le scrute. Le frémissement qui parcourt son corps quand il se libère, le froncement dans ses sourcils, le relâchement de ses traits quand pose enfin le torchon humide sur les zones maltraitées. Il a le mot pour rire, elle lui accorde au moins ça.

« Tu pourrais t’en fabriquer une, si t’arrêtais de t’en prendre à moi tout le temps. » D’un geste négligé, elle défait sa crinière sur ses épaules ; ça s’éparpille et ça dévore la chair exposée de ses épaules nues. « Tu gagnerais un temps considérable, si tu faisais ça. » Jude passe une dextre légère sur sa nuque, là où elle a encore l’impression de sentir sa main. Elle ancre ses yeux aux siens, s’amuse de sa verve et de leurs répliques. Y puise la force de continuer la comédie en dépit de la douleur qui la plombe de l’intérieur. « You really need to let go sometimes, you know. »

Elle a la voix un peu rauque d’avoir retenu les sanglots, d’avoir pleuré aussi. Même le sourire qu’elle lui fait n’est pas entier, c’est comme si quelqu’un avait tenté de recoller à la va-vite les morceaux d’un miroir brisé. Un peu maladroitement, avec toute la bonne volonté du monde. Juste pour faire semblant. Juste pour pouvoir oublier les fautes du passé. Judith, du haut de son ridicule perchoir, elle se penche vers lui avec sa douceur caractéristique. L’une de ses mains est toujours collée sur sa poitrine, l’autre cherche un appui sur son épaule. Sans lui demander la permission, elle l’embrasse ; les lèvres qui s’électrisent et le pouls qui s’accélère. C’est un baiser lent, à mi-chemin entre le dramatique et le passionnel, profond. Suave. Elle n’attend rien de la part de Saul, pas même qu’il veuille lui accorder cet échange. Pourtant elle le fait durer, elle se berce de douces illusions sur ce qui est, sur ce qui n’est plus depuis longtemps. Quand le souffle lui manque, elle tourne la tête pour enfouir son museau dans son cou, là où la barbe est plus courte. Elle l’embrasse encore, une dernière fois, sur sa carotide qui bat puissamment. Qui égrène les secondes de leur survie. Elle a juste besoin de ça, qu’il soit là, qu’il reste encore un peu. Pas grand-chose, vraiment.

« Est-ce qu’il y a quelque chose que je peux faire ? »

Judith pose son menton sur sa clavicule, laissant sa main gauche descendre, flotter jusqu’à la cuisse meurtrie. Si elle évite de s’attarder sur les tissus rêches, sa peau ne la fait pas tellement souffrir. Elle pourrait presque oublier. Elle demande, parce qu’elle ne voit pas ce qui pourrait le soulager dans ses trésors de toc et de souvenirs. Ce n’est pas l’infirmerie ici. C’est un sanctuaire contre le monde, mais pas le Saint Graal. Sa petite silhouette est voutée contre lui, parce qu’elle n’ose pas descendre de son piédestal de crainte qu’il ne fuie encore. Son corps cherche le sien, se noie dans sa stature deux fois plus importante que la sienne. Contre ses lèvres, Jude sent les battements de la veine. C’est comme une délicate symphonie qui répète en boucle un seul message. Le plus important de tous. De tendresse et d’amertume.
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyMar 25 Avr - 3:11

Ses cheveux tombent le long de ses épaules lorsqu’il relève la tête pour assumer la remarque. Recouvrent son visage blanc d’une cascade brune. Il se retient de lui dire ce qu’il pense de l’indécence du geste, de ses épaules presque nues et de ce qu’elle soulève de poussières alors qu’il accuse sans broncher la constatation. Saul grogne. Sans doute, oui, son esprit pratique aurait bien eu vite fait de se donner les moyens de la réparation, et que s’il avait eu plus de temps à se consacrer à son propre confort personnel, il aurait pu arranger la prothèse d’un simple tour de main et de quelques vis dénichées dans des tiroirs. Il se résigne alors à lui dire que c’est la douleur qui le garde en vie. Que c’est, quelque part, ce besoin intense et parfois contre nature de confrontation, de douleur réprimée, qui le force à se lever le matin, à gueuler des ordres, à suivre ceux de Randy, à chercher, toujours, quelque chose, n’importe quoi, pour le sortir de ses gongs. C’est la colère qui opère comme un moteur, chez Saul, brute, sauvage, incontrôlée ; et c’est qui aura raison de sa survie, il en était persuadé.

Redevenu silencieux, entre son bras et le reste, il a le temps de s’écarter lorsqu’il la sent se pencher. Les lèvres chocolat refont des vagues lentes contre les siennes, des allers-retours décadents qui lui arrachent quelque chose, au fond, quelque chose qu’il pensait ne plus avoir depuis longtemps. Saul a bien une main sur un début de mâchoire, une fin de cou, pour s’empêcher d’attraper la nuque ; mais il n’est pas certain de pouvoir l’arrêter. Judith grignote des chairs, et avec elles, ses envies de colère. Pour ce soir, Saul la laisse et se permet. Et ce n’est pas pour les cris ou les pleurs, pour des pardons ou pour de la pitié qu’il n’a plus, à l’instar du reste du monde ; ce n’est pas pour la forme, ni le fond, pour des envies de profiter, d’elle, sa jeunesse, de son corps sec, pur, encore intact qu’il sent glisser entre ses doigts. Juste, pourquoi pas, puisque c’est la fin du monde. Son souffle s’achève contre ses lèvres, alors qu’il la sent s’enfoncer dans son cou, y chercher la chaleur, l’odeur, contre les mailles de son pull, une jugulaire qui bat la mesure, sauvage, interminable. Elle se glisse tout à coup, se faufile contre ses flancs, du tissu aux chairs, il expire. Elle lui intime, doucement, la question, et il entraine sa main un peu à l’extérieur de la cuisse, là où le temps et les frottements ont formé une bosse, comme une boule de chair épaisse et dense, aux contours légèrement rougis. Ses doigts guident le sien contre les reliefs du monticule épidermique, là où les nerfs sont plus tendres, là où il peut sentir mille tendons se desserrer dans leurs gongs, et la douleur comme le poids sur ses épaules, comme le soupir qui traverse ses dents serrées, de s’évacuer après des semaines de stress intense. « Non… » Il souffle. Un mensonge, elle s’en doutera. « Pas grand-chose… » Il ajuste pour la forme, d’un sourire, lui donnant un petit coup de menton sur le haut de son crâne.

Elle s’est blotti maladroitement, penchée depuis l’accoudoir. Saul ne dit rien. S’attarde. Il y a un long silence et presque de la gêne. Il ne sait pas s’il devrait lui en parler, de ça, de ses doigts qui accrochent sa nuque, enseveli sous les cascades de mèches, ou de ses lèvres qui flottent près de son menton. Mais les mains fraîches de Sykes apaisent quelque chose plus bas, au niveau du moignon. Et Saul se dit qu’il n’y a rien à dire, de toute manière. Ce n’est pas qu’elle attend et ce n’est pas ce qu’il veut. « Il commence à faire tard, je devrais rentrer. » Il lance soudain, à demi-mot, en fixant à nouveau leur reflet dans la vitre Elle, voutée, lui, enfoncé au plus profond des coussins. En reflet inversé, l’horloge du salon lui indique la limite approchante du couvre-feu. Il se redresse légèrement dans le canapé, la laissant décalé son visage pour la voir. Sa main toujours dans sa nuque, sert un peu plus fort les mèches. « Ça va aller ? » Saul n’est pas certain que la question comme la réponse ne changera grand-chose, alors avant même de la laisser répliquer il ajoute : « Y’a intérêt, parce que j’ai de quoi te vanner pour les dix prochaines années. » Il raille, en prenant soudainement une voix dramatiquement aigue. « Oh Saul », imite-t-il en se laissant tomber en arrière, la tête ballante. « Oh serre-moi fort ! » Il ricane, en sachant qu’elle prendrait bien une minute pour lui balancer son insensibilité à la gueule. Ou lui enserrer ce morceau de chair délicate au niveau du moignon. Avant même d’avoir besoin de la retenir, elle, ses mains, ses engueulades, il glisse son visage au niveau du cou et l’embrasse à la racine des cheveux. Un morceau de mâchoire. Un début d’omoplate. « Trop tôt ? » Il murmure. Cette fois-ci, ses baisers sont des excuses. Dans un silence stagnant, il se libère de sa proximité et entame son habituelle danse en tendant la main vers la prothèse posée près de lui. Il libère le moignon du torchon, recouvre de son calot les morceaux de chairs à vif et entreprend de fixer le plastique de la fausse jambe au reste de son corps. En se penchant il se tourne tout l’en ajustant et ajoute de son ton maussade, moqueur, narquois. « Et va prendre une douche, pendant que t’y es. Tu chlingues. »
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptyJeu 27 Avr - 9:14

« i am not the ennemy. »

Même avant, même derrière la colère que l’ombre de Saul faisait naître en elle – le sentiment d’injustice – Judith le trouvait, à défaut de charmant, facile à regarder. C’était une distraction bienvenue quand les journées se faisaient trop longues, une distraction faites de sourires moqueurs quand il claudiquait furieusement d’un bout à l’autre du camp, d’instants silencieux et d’un soupçon de pourquoi pas. Mais elle n’aurait jamais franchi la limite s’il ne l’avait pas fait en premier. Parce qu’une partie d’elle avait peur qu’il tourne juste des talons, comme ça, en lui enlevant Agate et ses grands sourires. Elle ne la connaît pas depuis longtemps cette gamine et pourtant elle s’y est accrochée. Sincèrement. Être repoussée n’a jamais empêché Jude de vivre, elle a vécu des déceptions amoureuses et des râteaux comme n’importe quelle adolescente. En tant que jeune femme un peu moins, mais toujours un peu. Alors ce n’est pas l’idée qu’il se moque de sa tentative qui l’a tenue aussi longtemps éloignée, plutôt la pensée qu’il se dise qu’elle était cinglée et qu’il ne valait mieux pas entretenir ses illusions en restant dans les parages. Elle a toujours mal digéré l’abandon, Jude. Celui de son père a laissé des marques, de vilaines cicatrices invisibles qui lui pourrissent encore l’existence. Le problème avec Saul, c’est qu’il ne lui a jamais laissé le choix : il est entré dans sa vie un peu comme chez elle ce soir, en râlant et en haussant le ton. Elle s’en est accommodée, passées les premières semaines à se demander comment il osait agir comme ça après le coup qu’il lui avait fait. On dit que le temps guérit toutes les blessures et dans le fond, c’est sans doute vrai.

Les plus mineures s’effacent, les pires restent pour toujours. Quand ses doigts affleurent sur la chair meurtrie, elle se rend compte que ce n’est pas ça qui fait le plus souffrir Saul. L’amputation, la prothèse mal ajustée, ça n’a jamais été le problème. Pas entièrement, en tout cas. Judith cale un peu mieux son oreille contre le torse du militaire, s’enivre de sa voix qui résonne jusque dans sa cage thoracique pendant qu’elle s’efforce de suivre le mouvement qu’il a débuté. Il dit qu’elle ne peut rien et, comme si elle voulait avoir la satisfaction mesquine de lui prouver qu’il a tort, elle tente de le soulager un peu. Juste un peu. Le silence devient des secondes, des minutes et d’autres minutes. Il souffle qu’il se fait tard, elle entend juste qu’il vaudrait mieux qu’il parte. Mieux pour lui. Mieux pour elle. A sa question, elle entrouvre les lèvres – les lippes sèches et chocolatées, celles qui effleurent de temps à autres la peau de son cou dans un souffle. Et il reprend, le grand con, ce qui lui donne envie de… Elle sait pas. De le frapper et de l’insulter tout à la fois. Et quand il pose sa bouche aux mauvais endroits, un frisson la fait chavirer. C’est pas bon, ça. Il peut pas s’en tirer avec quelques baisers.

« Abruti. » C’est pas suffisamment convaincant, quand c’est lâché dans un soupir comme celui-là, mais elle n’arrive pas à grand-chose de plus. Il la repousse involontairement quand il tente de remettre sa fausse jambe. Saul a juste le mot qu’il faut, quand il ne faut pas. « Tu sais… » Judith relève le minois, avec ce sourire goguenard en filigrane. Assez convainquant pour donner le change. « Quand je vais me doucher, ça partira. Toi, t’auras beau essayer, elle repoussera jamais. » Elle croise son regard, fronce des sourcils avec une moue faussement compatissante. « Trop tôt ? »

C’est presque comme si ses yeux rougis le traitaient encore d’abruti avec quelques emphases de circonstances. Quand elle parle, ses cheveux glissent un peu partout, se faufilent devant son visage fatigué – et sale, il faut l’avouer – camouflent la chair dénudée et obscurcissent son champ de vision. Sans prévenir, elle se laisse glisser de son perchoir sur ses cuisses, le petit poids plume hésitant qui se fait subitement plus pressant. En appui sur ses genoux, à califourchon, elle le toise en secouant le menton doucement, fait se mouvoir ses mains effritées sur son col qu’elle attrape finalement au moment où elle se redresse, levant le visage vers le sien pour l’embrasser, encore. La façon dont elle le demande ne laisse guère place à des suppositions et, pendant une seconde ou deux, elle oublie jusqu’à l’endroit où ils se trouvent. Jusqu’aux événements qui ont précédé cet abandon. Serre-moi plus fort. Le baiser se rompt, elle rouvre les yeux. Tire sur sa barbe avec un demi-sourire.

« J’y suis pour rien si le seul truc qui semble encore fonctionner chez toi ce sont tes bras. » Et elle lui vole entre les doigts, s’enfuit de l’étreinte qui l’appelle toujours davantage pour se mettre sur ses deux jambes ; il a raison, il ferait mieux d’y aller. « Je vais prendre une douche, et tu devrais faire pareil. » Sa main gauche ramène une mèche brune derrière son oreille. « Laisser reposer à l’air libre, sans prothèse pendant quelques heures au moins. La septicémie, c’est pas un truc marrant. »

Elle fait la moue du bout des lèvres, sa bouche fait une drôle de grimace. Judith le regarde un moment, lui tend la main.

« Besoin d’aide, papi pirate ? »

Elle résiste pas. Elle résiste jamais. Et peut-être que c’est ça qui lui faut pour redresser un peu plus le menton. Des engueulades et des broutilles. Des baisers dans le noir et des insultes murmurées. La vie, ça ne sera jamais plus facile pour eux. Autant s’accommoder de ce qui leur reste. Jusqu’à ce que même ça, ça leur soit enlevé.
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MessageSujet: Re: i am not the ennemy (pv)   i am not the ennemy (pv) EmptySam 29 Avr - 22:34

Abruti. Pour une fois, il ne va pas la contredire. Pour une fois, peut-être bien qu’elle a raison. Il se verra sans doute, dans dix minutes, une heure, demain, comme il se voit maintenant dans le reflet dans la glace, fatigué, les traits tirés, avec cette enfant penchée contre son torse, le visage levé vers le sien, à la recherche de ses lèvres ; regretteras tu demain ? Courbé vers la prothèse, affairé à sa tâche, Vasarely se dit qu’il tolérait sans doute plus l’erreur que le regret. Qu’en glissant sa langue sur ses lèvres sèches, il peut sentir le goût du chocolat ; que ses doigts sont encore familiers des écorchures qui ornent les mains de Judith, qu’il peut sentir glisser contre son épaule, une mèche après l’autre, les cascades brunes qui lui tombent à l’instant sur le devant de son visage lisse. Saul n’est pas fait de honte, et il sait que Judith n’est pas faite de pitié. Comme les mots réconfortants qu’ils se glissent contre les parterres de cuisine, leurs baisers dans le noir n’engagent rien sinon un peu de répit. Un peu de douceur provisoire, dans un bateau voguant dans les tempêtes depuis plusieurs semaines.

Au moment du départ, il tente de s’accrocher au pont, mais elle le retient, sirène, glisse sur ses cuisses, la fausse, froide, qui ne bouge pas, et celle qui vit, frémit. Pendant un moment, il ne sait pas trop où mettre ses mains, qui se heurtent, ballantes, contre ses morceaux de jean, le côté d’un t-shirt, le cuir du canapé et puis une cuisse sous le vêtement. Un instant, Saul est gêné. Peut-être parce qu’ils sont chez elle, et que sa sœur dort à l’étage, avec Gina, avec Agate, peut-être même son père, dont il avait oublié l’existence depuis. Peut-être parce qu’il ne s’attendait pas à ça de sa part – ça, ses mains qui remontent le long de son cou, froissent le vêtement, et lorsqu’elle se penche soudain, attrape dans le mouvement ce qui passe. Lèvre, barbe et moment de doute. Le retour à l’envoyeur était passé inaperçu jusqu’ici mais lorsqu’elle le laisse finalement, Saul minaude un : « Fuck you. » Qu’est ce qu’il peut lui dire de plus ? Quoi répondre à ça ? Sa jambe, Vasarely s’en fout déjà. Mais lorsqu’il la voit passer devant lui, libérer l’étau autour de son visage, et la danse pénible de son corps pour se remettre sur pieds, les deux pieds, une omoplate saillante, un fessier, les contours d’un sourire narquois… Saul retourne s’affairer à la prothèse plus bas. Il est presque content d’avoir pris la décision avant. Cinq minutes de plus, et il aurait fallu qu’il gueule pour expier le reste.

L’appel de la douche lui semble être une bonne idée, et en entendant les réflexions sur sa jambe tremblante, dont les douleurs étaient revenues avec la prothèse, Saul fronce le nez. « On dirait Primrose. A vous entendre, j’ai l’impression que c’est vous qui vivez avec une jambe. » Il avait horreur des élans maternels déclarés de Morales, dont l’inquiétude semblait être le sacerdoce de son existence. Alors pour lui faire plaisir il avait lu les petits fascicules, ceux que l’armée et les hôpitaux mettaient à leur disposition : ‘La vie après l’amputation’. Chapitre un : non, elle ne repoussera pas. Chapitre deux : je suis handicapé, pas con. Il a encore des noms de chapitre en tête lorsqu’il l’entend faire de l’humour. Saul persiste dans son ricanement. Il attrape la main qu’elle lui tend, et une fois debout, se statufie devant elle. Avec ses deux bonnes têtes de plus, Vasarely la surplombe. Il reste un moment, un long moment, à quelques centimètres, à la fixer de son sourire narquois, comme s’il cherchait à la gêner. Puis finalement, il lève la main et pose une mèche brune derrière son oreille. Son corps se penche à la recherche des trois tasses de chocolat abandonnés sur la table basse. Saul s’en saisit, et sans plus rien dire, s’éloigne dans la cuisine. Le bruit de la céramique éclate dans l’évier. « Ramène-moi Agate demain. » Lance-t-il pour simple au revoir. En trois pas, il est à la porte et la claque derrière lui. Clopinant difficilement sur les escaliers mal agencés de la demeure des Sykes, Saul râla avant de s’engouffrer dans l’obscurité de la ville.
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i am not the ennemy (pv)

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