dead man walking.
avant l'apocalypse
C’est en 1983, dans une Allemagne déchirée en deux que Hannibal est né. D’une famille des plus modeste contrairement à ce que son nom aurait pu laisser entendre. Dans ce contexte particulier que fut la Guerre Froide, les restrictions imposées rendaient la vie encore plus difficile. Le déclin progressif que connaissaient les administrations du Parti n’était en rien d’une grande aide dans une période où l’espionnage et la délation dominaient. Des personnes disparaissaient parfois sans laisser de trace. Sortir de Berlin Est nécessitait des visas trop rarement délivrés pour que ces disparus aient simplement quitté la ville. On savait ce qu’il se passait, mais on préférait taire les évènements, par peur de la répression, par peur de perdre ce qu’il restait encore. Alors on courbait l’échine et on pleurait en silence et on essayait de passer à autre chose, espérant qu’un jour BRD et DDR ne formeraient à nouveau qu’une seule et unique Allemagne. Hannibal n’avait que six mois alors que son père fut arraché du foyer familial. La famille n’était pas impliquée dans une quelconque rébellion et avait toujours été discrète. La veuve fit de son mieux pour élever son fils, vivant dans la crainte d’être la suivante. Le tout dura pendant encore six années, jusqu’à ce que le Mur finisse par tomber durant la nuit du 9 novembre 1989. Rien que le jeune garçon ne puisse réellement comprendre.
Alors que Hohenschönhausen, la prison de la Stasi, s’était vidée de ses occupants, l’espoir de retrouver des proches brutalement enlevé était né dans les cœurs des Berlinois de l’Est. Espoir que la femme n’avait partagé que durant un court moment. Survivre six longues années dans ce genre d’établissement relevait du miracle et l’homme n’avait pas eu cette chance.
Après des mois de deuil et à l’aube du septième anniversaire de son fils, la pauvre mère finit par prendre la décision d’émigrer aux Etats-Unis.
Hannibal avait grandit dans les quartiers difficils de Seattle. Bien que discret, le jeune garçon semblait avoir un don pour s’attirer des ennuis, peu aidé par sa difficulté à s’exprimer en anglais et les préjugés tournants autour des allemands, qui plus est des allemands de l’Est. La fin de la Guerre Froide n’avait pas retiré toute la rancœur dans les esprits des américains et les avis désobligeants des parents devenaient celui de leurs enfants. Devenant peu à peu bagarreur, répondant alors que des insultes dissimulées derrière un commentaire provoquant était formulé. L’école ne l’intéressait pas. Il était médiocre, au grand désarroi de sa mère qui voulait seulement faire de lui quelqu’un de bien, quelqu’un qui pourrait s’en sortir dans la vie. Être heureux. Des choses qu’elle n’avait pas pu obtenir avec la séparation du pays. Quoi qu’il en soit, Hannibal n’était jamais parvenu à aller loin dans ses études. Les échecs, il connaissait, peut-être même trop bien.
En 2001, alors qu'il aurait dû redoubler pour la seconde fois que le blond prit la décision de tout arrêter. Uniquement poussé par sa mère qui désespérait de le voir perdre son temps et ne s'attirer que des ennuis qu'Hannibal s'engagea dans l'armée américaine. Simple soldat sans la moindre importance, notre homme semblait avoir des difficultés à entrer dans le rang. Cependant, et dans une volonté de ne pas décevoir une énième fois sa génitrice, le jeune homme fit nombre d'efforts, animé par la volonté de ne pas connaître une nouvelle fois l'échec. Laissant son ego de côté, usant de sa fougue pour se faire bien voir de ses supérieurs, il s'était adapté à la vie militaire.
Deux années s'était écoulées et lors de sa deuxième mission en Irak, Hannibal y avait rencontré Jeremiah, le brancardier-secouriste de la section du blondin, chargé des premiers soins sur le terrain. La relation entre les deux hommes avait d'abord était tendue, le courant ne passant pas, alors qu'Hannibal faisait preuve d'insubordination à l'égard de l'homme qui pourrait un jour lui sauver la vie. Quoi qu'il en soit, ce n'est qu'à leur retour au pays et durant la période de décompression qu'ils finirent pas commencer à s'apprécier. Quelques verres d'alcool détenaient cette rare qualité de pouvoir faire tomber tous les murs. Ou en tout cas, les moins épais. Il en avait fallu qu'une autre année passe pour que les dernières barrières s'effondrent, tandis qu'ils commençaient à se fréquenter de manière plus intime Une relation bancale qui avait cependant permis à Hannibal de garder la tête hors de l'eau alors que sa mère avait rejoint son père. Elle était morte durant la nuit. Aucune douleur selon les médecins. Avec cela, le blond prit sur lui, délaissant Seattle et ses mauvais souvenirs pour Saint-Louis et l'appartement rassurant de son amant.
On dit que les bonnes choses ne durent qu'un temps. Hannibal ne dérogeait visiblement pas à cet adage. Trois années après qu'ils aient emménagé ensemble, ils avaient eu la chance d'être envoyés en mission sur la même base d'opération. Sur les six mois qu'ils devaient y passer, il n'en restait plus qu'un. Le passage à l'année 2008 avait été célébré dignement quelques jours auparavant. Le sentiment oppressant d'être constamment en danger avait presque été effacé des cœurs des soldats tandis que tout était calme depuis de longues semaines. Peut-être était-ce là la raison pour laquelle le groupe mené par Jeremiah était tombé dans une embuscade. Peut-être étaient-ils juste au mauvais endroit au mauvais moment. Quoi qu'il en soit, trois jours plus tard, c'est avec le corps sans vie de son compagnon qu'Hannibal se voyait rapatrié. Durant de nombreux jours, le désormais ancien militaire tournait en rond dans cet appartement trop grand pour lui tout seul, trop vide aussi. Lentement, il s'enfonçait dans sa solitude, se renfermant de nouveau, laissant la dépression s'emparer de lui. L'alcool aidait. Lui permettant durant quelques heures d'oublier. Plus personne n'était là pour le relever de toute manière. Les ivrognes, on les ignore.
Ne prêtant plus aucune attention au monde qui l'entourait, il avait prit le volant après avoir bu les verres de trop. Pour aller où, dans quel but, personne n'aurait jamais la réponse. La course s'était terminée contre un arbre et Hannibal était resté dans le coma quelques jours. Il aurait dû y passer. Peut-être même qu'il l'avait à un moment souhaité. Voir des psychologues à répétition l'avait poussé à cesser d'avoir l'air d'un cadavre. Non pas qu'il allait réellement mieux, mais il désirait seulement rentrer chez lui. Doucement, la vie reprenait son rythme alors que les visites chez sa psychologue s’espaçaient de plus en plus. Finalement, le blond était parvenu à trouver un emploi dans un lycée. Rien de fameux, puisqu'il occupait une place d'agent d'entretien. Cependant, cela lui permettait de rester en activité. S'activer lui permettait, tout comme l'alcool quelques mois auparavant, de penser à autre chose.
après l'apocalypse
C’était un jour banal. Identique à ceux qui l’avait précédé et probablement identique à ceux qui viendraient. Il se levait pour se lever, allait gagner sa croûte, rentrait fatigué et toujours un peu plus las. Il commençait à connaître les moindres recoins de ce campus qu’il arpentait depuis près de 5 ans, en cette mi-octobre, les cours avaient normalement repris et il n’était à nouveau qu’une ombre dans les couloirs. Le sale temps et l’arrivée de l’automne ne constituaient en rien une partie de plaisir pour l’agent d’entretien. La cloche venait de sonner il y a de cela quelques minutes et les couloirs retrouvaient peu à peu le calme que notre homme savait apprécier. L’heure était venue pour lui de s’afférer à ses tâches qu’il effectuait d’une manière mécanique sans vraiment prêter la moindre attention à ses gestes. C’est un cri strident, presque effrayant, qui le fit réagir tandis qu’il était jusqu’alors insensible aux éléments qui l’entouraient. Passant la tête hors de la salle qu’il s’appliquait à nettoyer de manière méthodique, Hannibal avait alors fait face à une véritable scène d’horreur. Un étudiant qu’il ne reconnaissait pas réellement venait de planter ses dents dans l’épaule de ce qu’il reconnaissait comme une enseignante, de quelle matière ? Hannibal n’en avait cure à vrai dire, probablement l’une de ces matières à l’énoncé faramineux et vendeur qui faisait miroiter une discipline fort intéressante. Le blond avait alors croisé son regard. Entre la douleur et le sang ayant éclaboussé son visage, il avait aperçu la terreur dans ce regard implorant. Il aurait pu aider, faire lâcher prise à l’élève. Mais à quoi bon ? Des histoires circulaient dans le pays. Des cas étranges. Des hommes qui s’en prenaient aux personnes venues les secourir. Des hommes qui ne tombaient pas sous les balles des policiers tentant de les arrêter. Mais Hannibal n’était pas un héros. Il ne l’avait jamais été. Et il ne le serait probablement jamais. Alors il avait juste fuit.
Son premier mort, Hannibal l’avait achevé tandis qu’il rejoignait sa voiture, à l’aide du balai qu’il avait oublié de reposer. Ça n’avait pas été de sa propre volonté. Uniquement de la légitime défense alors que la créature s’était dirigée vers lui, la gorge ouverte en une plaie béante, sanguinolente, telle que personne n’aurait pu s’en relever et continuer de déambuler ainsi. Le coup avait envoyé le mort-vivant déjà claudiquant au sol alors qu’il parvenait, non sans mal, à atteindre le cerveau de la chose dans un craquement sinistre.
Comment comprendre ce qu’il se passait ? L’armée allait bien intervenir. Faire cesser cette folie. Et comme tout humain, le premier réflexe d’Hannibal une fois rentré chez lui fut d’allumer la télévision. Prendre connaissance de ce qu’il se passait. Des mesures qui allaient être prises. En début de soirée, la fermeture des établissements scolaires était proclamée et ce, jusqu’à nouvel ordre. Plus les heures passaient, plus les évènements semblaient se précipiter. On parlait de journalistes attaqués en pleine rue alors qu’ils cherchaient à témoigner pour leurs chaines. Le lendemain, on commençait à parler d’émeutes dans quelques grandes villes. En une journée, une part d’humanité semblait avoir été retirée chez chaque personne peuplant les Etats-Unis. Alors qu’on demandait aux populations de se barricader, Hannibal choisit de quitter Saint-Louis. Il se contenta de prendre de quoi tenir quelques jours, le temps que ça se tasse. Et tandis que les émeutes naissaient aux quatre coins de la cité, le blond quittait la ville. En quête de calme, il ne voulait pas les morts à sa porte ni les émeutes sous sa fenêtre. Dans les jours qui avaient suivit, la plupart des médias n’étaient plus. Seuls des messages tournant en boucle demeuraient sur les chaines et quelques fréquences tenues par ce qui semblait être des militaires continuaient d’émettre de manière discontinue. On parlait de camps de réfugiés, de zones de quarantaine.
Peu à peu, le monde s’effondrait.
Solitaire qu’il était, Hannibal prit la décision d’évoluer sans personne d’autre. Alors que certains œuvraient pour protéger leurs familles brisées ou même de simples inconnus qui auraient eu besoin de plus de temps pour s’adapter et faire face aux ravages de l’apocalypse, d’autres saisissaient l’opportunité offerte par le soulèvement des morts, tentant de s’emparer d’un pouvoir qu’ils n’avaient auparavant jamais pu obtenir. Sortant de leurs vies miteuses et sans intérêt, trouvant dans quelques groupes l’attention d’autres, peut-être trop faibles pour gouverner, seulement taillés pour obéir. Peur de prendre des responsabilités ou peur de se soumettre, allez savoir. Il n’était pas non plus un meneur dans l’âme ou bien un suiveur. Etre soldat pendant quelques années lui avait suffit.
Durant les premiers mois il erra seul. Vivant du pillage des maisons abandonnées par leurs propriétaires. A ses débuts, il n’avait pas osé. Passant dans les boutiques et laissant même parfois une somme d’argent sur le comptoir, dans un faux espoir qu’un jour tout redeviendrait normal, et les tenants regagneraient leur boutique. Il s'était fixé comme objectif de rejoindre le Sud du pays. Il avait un long chemin à parcourir, alors dès qu’il pouvait trouver un véhicule en état ainsi que les clefs qui allaient avec, le survivant se permettait de l’emprunter. Depuis le temps, le propriétaire serait bien venu la chercher si il en avait toujours l’usage. Son incapacité à faire démarrer une voiture sans clefs ralentissait bien souvent son avancée.
Cela faisait presque huit mois que l'épidémie fait s'écrouler la civilisation et il avait alors parcouru les États-Unis jusqu'au Kansas où il tomba sur Berekia. Ou du moins que Berekia lui tomba dessus. Personnage étrange qui avait jusque là réussi à survivre Dieu seul sait comment. Il avait été le premier humain qu’il croisait depuis près de deux mois. Après l’avoir débarrassé du vorace qui le pourchassait, Hannibal en apprit un peu plus sur l’homme. Lui aussi errait sans but depuis le début. Pourtant, faire la route en compagnie d’un autre n’avait pas enchanté l’allemand au premier abord. Il avait même tenté de s’en séparer, à chaque fois d’une manière plus ou moins subtile qui lui avait été propre. Une méfiance était née ; et quand bien même aurait-il eu confiance, la charge d’une personne à protéger demeurait trop lourde aux yeux de l’ancien militaire.
Et finalement, quelques semaines plus tard, Berekia s’était avéré plein de ressources. Car si Hannibal avait apprit à y faire face aux rôdeurs, les humains n’étaient en rien son fort. Et tandis qu’un groupe hostile était venu chercher la confrontation avec les deux compagnons de route, ce dernier était entré dans le jeu du groupe. Mis à mal, blessé et incapable de reprendre immédiatement la route ou même de se mouvoir tel qu’il l’aurait fait au meilleur de sa forme, Berekia avait été forcé de prendre le relais, effaçant la méfiance qui avait vu le jour quelques semaines auparavant et forçant le belligérant à admettre qu’il avait besoin de quelqu’un. Et si la bonne humeur parfois affligeante de son nouveau camarade semblait le consterner dans les moments les plus critiques, l’un de ces sourire bienveillant pouvait de plus en plus souvent être aperçu, pointant discrètement sur les lèvres d’Hannibal.
Un rapprochement plus que certain s’était opéré après de longs jours de vie sur les routes. La décision de désormais éviter de rejoindre un quelconque groupe avait été commune. Ce rapprochement n’avait jusque là été que platonique. Du moins, pendant un temps. Les fêtes avaient une place dans le cœur de Berekia ; que ce soit Thanksgiving, Noël ou même le Nouvel An, il y tenait. Incapable d’argumenter contre si ce n’est en arguant qu’ils ne connaissaient même pas la date, Hannibal avait cédé, osant retrouver durant un instant la normalité de l’ancien monde. Et bien que l’heure soit aux réjouissances, il avait prit la responsabilité de rester sobre, dans le cas où ils se retrouveraient face à une nouvelle situation critique, laissant à son camarade les joies de l’alcool. La fatigue commençait à se faire ressentir, assez pour qu’il aille se coucher, non loin du feu, mais pas assez pour qu’il s’endorme. A la place, la blond se contentait de fixer l’autre homme, repensant à ce qu’il s’était passé depuis le début de l’épidémie.
La voix de Berekia brisa le silence, alors qu’il se rapprochait lentement du somnolant. Plissant le regard, demeurant immobile alors que leurs lèvres se frôlaient de manière chaste. Les mots avaient été prononcés. De manière presque innocente. Il n’avait rien attendu de plus avant de s’étendre à ses côtés. Face à sa propre incapacité à réagir, Hannibal avait seulement porté son pouce à ses propres lèvres, effleurant le point de contact. Etait-ce l’alcool qui agissait et parlait à la place de Berekia ? Peut-être aurait-il tout oublié le lendemain. Son entêtement à toujours chercher réponse à tout était loin de l’aider sur ce coup là. Ainsi préféra-t-il tout faire reposer sur la boisson et sombra à son tour dans les bras de Morphée.
Pour une fois, l’allemand s’était levé le premier, chose rare à vrai dire. Son compagnon d’infortune reposait à ses côtés, sans autre protection contre le froid que ses habits. Effaçant les événements de la veille, il plaça sa propre couverture sur le dos de l’endormi, s’en allant ouvrir les dernières conserves de fruits qu’il restait. Rien de bien fameux. Il avait tâché de ne pas faire de bruit, respectueux du sommeil de son acolyte. C’est pourtant un Berekia bien éveillé qui accueillit son retour. Et tandis que l’un croyait les péripéties de la veille oubliées, l’autre avait saisit l’opportunité offerte lors du service du petit déjeuner, scellant leurs lèvres de manière bien moins chaste que la veille. Le blond s’en était détaché, toujours aussi incertain et le brun l’avait fixé jusqu’à finalement le convaincre.
Alors que les mois passaient, une routine s’était installée, Hannibal veillait désormais sur son compagnon, ayant trouvé une raison de se maintenir en vie. Dans les jours les plus calmes, où les maisons visitées offraient de quoi tenir plus longtemps qu’à l’accoutumée, le blond tentait d’apprendre à Berekia comment se défendre face aux morts, il progressait plutôt bien même si la volonté n'était pas toujours de la partie, mais Hannibal y tenait. Beaucoup. En attendant, ils avaient voyagé recouvert du sang des morts, circulant avec plus d'aisance et de sécurité entre les cadavres, ne serait-ce que pour retarder le moment tant redouté où il n’y aurait plus d’échappatoire.