Les jours passent et se ressemblent. Seule la fatigue, de plus en plus persistante, rappelle à Arielle le temps qu'elle a déjà passé en dehors des murs protecteurs de Lafayette. Depuis le chaos de la chute, rien n'est plus comme avant. La solitude l'accable à n'importe quel moment de la journée. Parfois, elle retient sa respiration un moment pour retenir des sanglots qui ne s'arrêteraient plus si elle les laissaient éclater.
Ce jour, ses muscles engourdis par une marche forcée trop longue réclament une pause en début d'après-midi. Le soleil est encore haut dans le ciel, et l'idéal serait de continuer ses vadrouilles à la recherche d'un signe de l'armée - idéalement de son frère - ou d'un autre camp. Arielle a quitté Lafayette en direction de la petite ville de Scott dans cette idée. Avec un peu de chance, ce ne sera pas les horsemen - ces redoutés - sur qui elle tombera en premier.
Malheureusement, au détour d'une ruelle, alors qu'elle tire sur les languettes de son sac à dos trop lourd pour ses épaules écrasées, c'est sur pire qu'elle tombe. Ils sont tout prêt, ces quelques rôdeurs aussi perdus qu'elle. Ils sont trop près même. Elle a beau réprimer un cri et faire aussitôt un bond en arrière, son geste brusque alerte les morts et les attire immédiatement. Ce n'est pas la première fois qu'elle en voit, loin de là, et pourtant il lui semble qu'elle n'en a jamais vu d'aussi près en tout cas. La rencontre lui glace le sang et manque de la figer sur place, ses jambes transformées en coton par la terreur.
Dieu merci, elle parvient à détacher son regard du leur, morbide. Elle a à peine tourné les talons que son cœur se met à battre à tout rompre dans sa poitrine et dans ses tempes. Courir pour sauver sa vie, courir là où le hasard la mènera, tant que ce sera loin d'ici. C'est tout ce qui lui reste.
Elle ne songe pas à ce fait déprimant pourtant, alors qu'elle pousse la porte d'un immeuble qui lui cède sans résistance. Elle s'engouffre, se jette sur les escaliers sans prendre le temps d'inspirer une précieuse gorgée d'air. Elle s'envole au-dessus des escaliers, les monte quatre à quatre sans faire attention à ses mollets hurlants, déjà fatigués et pourtant encore davantage maltraités. Son corps tout entier souffre dans cette course. Ses muscles sont tordus, écartelés, déchirés, rapiécés par l'effort.
Lorsque finalement elle n'en peut plus, lorsqu'elle goûte dans sa gorge trop sèche le goût du sang, lorsque sa tête menace d'imploser et son estomac de se vider, enfin elle s'arrête. Ses mains agrippent férocement la rambarde de l'escalier, et elle profite de cette pause forcée pour enfin tendre l'oreille et vérifier qu'elle n'est plus suivie.
Arielle est enfin seule. Par chance, elle a semé ses poursuivants macabres. Elle n'ose pas pensée à ce qui lui serait arrivé si la porte en bas de cet immeuble ne s'était pas ouverte.
Épuisée par cet ultime effort, vidée de toute énergie et de toute motivation, la survivante solitaire décide que cet abri hasardeux conviendra tout à fait pour prendre un instant de repos. Son frère lui accordera un jour de plus, elle doit retrouver des forces. Alors prudemment, elle se met en quête d'un appartement. Elle choisit celui avec le plus beau paillasson, use de ses talents douteux pour trifouiller la serrure, et pousse un soupir lorsque la porte s'ouvre sans trop de résistance.
Après un rapide tour de l'endroit pour s'assurer d'être seule, elle farfouille dans les tiroirs, enfile des vêtements propres et abandonnés, et s'empare d'un coussin et d'une couette pour se faire un petit nid dans un placard. L'astuce est moins confortable que de dormir dans le lit prometteur, mais sa solitude terrible ne lui permet pas de s'exposer autant à d'éventuels ennemis qui pourraient surgir dans son sommeil.
Arielle ferme les yeux sans la moindre difficulté. Elle espère ne pas dormir trop longtemps pour pouvoir explorer davantage la ville avant la fin de la nuit, ou bien que la faim ne sera pas trop tenace pour lui permettre de dormir jusqu'au petit matin. La fatigue l'emporte sur ces dernières préoccupations, et elle s'endort ratatinée sur elle-même pour se faire comme invisible, sans se rappeler qu'elle n'a pas pensé à verrouiller la porte d'entrée derrière elle en pénétrant dans ce petit appartement. Il serait facile pour n'importe qui de s'introduire dans sa petite cachette, et de la trouver là, endormie et à la merci de tous, en farfouillant un peu pour trouver des ressources.